Taïwan face à la Chine : pour mettre la pression sur l'île, Pékin ferme les robinets du tourisme
(De notre envoyé spécial) Après une décennie de rapprochement et de coopération mutuelle, le régime de Pékin a-t-il décidé d'étouffer économiquement Taïwan pour punir l'île, indépendante de fait, d'avoir élu en 2016 Tsai Ing-wen, la nouvelle présidente hostile à la Chine continentale?
Dans les couloirs du gouvernement de Taipei, on en est persuadé. Et les officiels multiplient les rencontres pour essayer d'alerter une communauté internationale gênée par la question.
A court terme, pour essayer de mettre la pression sur l'île rebelle, la Chine a joué une première carte qui a durement, et très directement touché l'économie taïwanaise. En 2008 en effet, les vols entre Taïwan et la Chine avaient repris -ils étaient interrompus depuis 1949!- amenant de part et d'autre des deux rives une population qui semblait encore inenvisageable quelques années auparavant: des touristes. L'initiative avait été prise par l'ancien président taïwanais Ma Ying-jeou, très favorable au réchauffement des relation bilatéraless et à l'idée d'un Taïwan proche de Pékin. "Ceux qui vivent de chaque côté du détroit de Taïwan sont comme les membres d'une même famille" déclarait-il à l'époque dans un discours historique. Problème: huit ans plus tard, son parti a été battu, et la nouvelle élue est loin, très loin de partager cette conviction, à l'image d'une partie croissante de la population jeune, urbaine et diplômée, qui ne voit pas l'intérêt de se rapprocher d'une Chine qu'elle n'a jamais connue et qu'elle perçoit comme totalitaire.
Pékin avait promis de sévir si Tsai Ing-wen était élue. Et le régime a tenu parole. Alors que 4,1 millions de touristes se rendaient de Chine à Taïwan en 2015, développant un nouveau secteur appréciable pour l'île qui se bat pour exister, le gouvernement de Xi Jinping joue la carte de l'étouffement. Avec une étonnante facilité, et pour cause: "Les touristes qui pouvaient se rendre à Taïwan obtenaient des permis de circulation délivrés par des agences de voyages proches du Parti communiste chinois" explique à FranceSoir Chiu Chui-cheng, vice-ministre chargé des Relations avec la Chine continentale. "Les autorités chinoises peuvent donc contrôler librement le nombre de touristes se rendant à Taïwan. C'est hélas un vrai levier de pression sur nous". Une source du ministère des Affaires étrangères nous confie même que rien que pour 2016, le nombre de visiteurs devrait chuter de 25%. Sur une simple décision de Pékin, qui aura encore la marge de manœuvre d'accentuer la pression si le régime le souhaite. Cette année n'était en effet qu'un coup de semonce.
Après dix ans de rapprochement, les autorités de Taipei souhaitent donc se tourner vers de nouveaux partenaires, qui n'auront pas tendance sur une simple décision politique à remettre à plat les échanges économiques pour des questions de régime "pas assez favorable". Taïwan a donc initié une nouvelle politique, le "New Southbound" ("Nouveau cap vers le sud"), pour se rapprocher des pays d'Asie du Sud-Est, dont certains commencent aussi à trouver l'influence de Pékin un peu trop présente. Reste pour Taipei à espérer que cette option donne d'aussi bons résultats que ceux qui avaient été obtenus par le rapprochement avec la Chine: entre le tournant de la décennie et 2015, la croissance de Taïwan affichait entre 2% et quasiment 4% par an. Après un décrochage en 2015, les agences de notation ont déjà toutes rabaissé leur prévisions pour 2016, et la croissance devrait avoir du mal à dépasser les 1%. Pourtant, les autorités croient encore pouvoir renverser la tendance. "Taïwan est un pays réellement démocratique, ce qui peut s'avérer attractif dans les relations internationales. Et Pékin pourrait souffrir de son image de pays prêt à altérer les relations économiques pour des motifs politiques" affirme Chui-cheng Chiu. Reste à savoir si cette analyse sera entendue. Ce ne sera en tout cas pas pour 2016.
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