Une présidence sous les pires auspices pour Lula

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Teresita Dussart, pour FranceSoir
Publié le 31 octobre 2022 - 13:00
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Lula
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FABRICE COFFRINI / AFP
Le candidat de Luiz Inácio Lula da Silva du Parti des Travailleurs (PT) a fait un score de 50,9% à la présidentielle brésilienne.
FABRICE COFFRINI / AFP

CHRONIQUE - Les résultats du deuxième tour des élections présidentielles constituent le résultat le plus serré de l'histoire électorale brésilienne. 12 ans après, Luiz Inácio Lula da Silva du Parti des Travailleurs (PT) fait son retour en politique après trois ans de prison et un cancer vaincu. S’il se considère comme un "ressuscité de la politique", son score de 50,9% des voix n’est pas toutefois celui qu’il aurait souhaité. En face de lui, Jair Messias Bolsonaro démentant une fois de plus tous les instituts de sondages, réalise un score de 49,1%. Cette différence de deux millions de voix contamine la victoire de Lula, qui rêvait au début de sa campagne d’un plébiscite, voire d’un référendum contre Bolsonaro.

La campagne s’est déroulée dans un contexte vicié, lequel se réfléchit dans les résultats. Bolsonaro n’a pas manqué de rappeler les affaires "Lava Javo" (nom donné au service de lavage de voiture, par extension à l’opération de blanchiment systématisé du PT), ou le scandale "mensalão", en référence aux généreux pots de vins sous forme de mensualités - "mensalão" - versés aux députés de l'opposition en échange de leur appui à Lula, une forme de mensualisation de la corruption au cours de sa présidence de 2003 à 2010. Bolsonaro a également tenu à replacer les faits dans leur contexte aussi souvent que possible : la relaxe de Lula, malgré l’énormité des preuves, se doit à un vice de procédure, lui-même très discutable. Lula pour sa part a traité Bolsonaro de nombre de noms d’oiseaux, parmi lesquels "fasciste", "menteur", lui reprochant par ailleurs sa gestion de la crise sanitaire.

Face à ses résultats, force est de constater, urbi et orbi, qu’au Brésil, la massivité d’une presse qui, après avoir rendu compte de la corruption de Lula, a fait campagne pour ce dernier n’est pas une garantie de plébiscite. Le niveau de militantisme anti-Bolsonaro de la presse, semble l’avoir protégé plutôt que désavantagé. De cette réalité, la leçon pour Lula est que l’engouement aussi grégaire que circonstanciel de la presse ne suffira pas. Il y a une lame de fond dans la société, des métriques sociétales plus complexes, qui font de son pays, une nation dangereusement polarisée, sur laquelle il devra plancher.

L’attitude de Bolsonaro pendant les confinements covidiens, consistant à défendre le travail et l’économie, a été entendue dans les secteurs les plus pauvres de la société. Par ailleurs, sa politique de défense des secteurs les plus mis à mal au travers de l’allocation "Auxilio Brasil", une batterie d’aides pour réduire la misère extrême, lui vaut une reconnaissance dans les secteurs dans lesquels l’aveuglement stéréotypique auraient parié pour un vote acquis par avance au PT. Finalement, ses réserves par rapport aux préconisations de l’OMS, sur les vaccins notamment, lui valent une sympathie grandissante chez les électeurs à mesure que les effets secondaires se font connaître.  

Dans sa première communication, faisant suite à l’officialisation de sa victoire, Lula a rompu avec sa trajectoire de tribun naturel. Il a préféré lire son discours, pesant chacun des mots. Loin de tout lyrisme de gauche, il a commencé avec une référence appuyée à Dieu : "Je rends grâce à Dieu, car il m’a toujours protégé", s'installant comme l'élu "oint".  Cette référence mystique est moins le résultat d'un mimétisme face à son opposant, qu’un clin d’œil aux pentecôtistes, sans lequel il n’est plus possible de gagner une élection au Brésil. Mais c’est aussi une façon de tourner le dos à l’aile woke et à la base LGBTQ urbaine du PT. Son discours a d’ailleurs été qualifié d’ennuyeux par certains de ses votants. Il aurait pu être prononcé par n’importe quel candidat, tant il était dépossédé de notion idéologique. Entre les deux tours, Lula et sa femme s’étaient publiquement exprimés contre l’avortement, faisant froncer les sourcils d’une partie de sa base.

Côté politique internationale, le président élu s’est gardé de toute mention "d’intégration régionale" avec les nations latino-américaines acquises à la gauche tapioquesque. Il s'agit d’un discours d’apaisement, dans lequel il s’est engagé à gouverner pour les 215 millions de Brésiliens. Le Lula qui revient, à en croire ses premières déclarations, serait le Lula pragmatique, presque conservateur, et non pas le Lula radical.  

Le fait est que Lula, non seulement a remporté une victoire sans panache, mais il aura face à lui un Congrès acquis à l’opposition de droite et centre-droit, sans "mensalão" possible. Il devra composer avec des faux amis, telle que son amie-ennemie, Dilma Rousseff, l’ex-présidente démise de ses fonctions par impeachment en 2015, dont l’image hier sur la tribune renvoie Lula à la vieille politique du PT. D’autant que le spectre de cette destitution est ce qui lui pend au nez. Pour gouverner, l’ex-syndicaliste va devoir se serrer sur son centre droit, au sein duquel il pourra compter sur son vice-président, Geraldo Alckmin. Ce dernier s’est présenté deux fois aux élections en 2006 et en 2018. Aujourd'hui, Alckmin a peut-être trouvé une stratégie plus efficace pour atteindre le pouvoir que de livrer la bataille, et devenir le garant du centre droit d’un président vieillissant de 77 ans. En cas de destitution, il entrerait enfin au Palais du Planalto en tant que président.

Lundi matin, ni Bolsonaro, ni ses fils ne s’étaient manifestés, ni pour reconnaître ni pour contester le résultat des élections.   

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