Russie : une arrestation "électrochoc" pour les milieux d'affaires
"Electrochoc", "signal très négatif".... Après la récente arrestation d'investisseurs occidentaux, accusés de fraude, les milieux d'affaires en Russie redoutent des conséquences désastreuses sur les financements étrangers, dont le pays a désespérément besoin pour doper sa croissance.
Alors que le gratin de l'économie russe était réuni pour un forum dans la station balnéaire de Sotchi, les forces de l'ordre, saisies par les services spéciaux du FSB, procédaient vendredi à un coup de filet au sein du très respecté fonds d'investissement Baring Vostok.
Soupçonnés de fraude, l'Américain Michael Calvey, créateur et directeur de Baring Vostok, ainsi que quatre autres employés du fonds dont le Français Philippe Delpal, ont depuis été placés en détention provisoire dans l'attente d'un éventuel procès.
Ils sont accusés d'être à l'origine d'une fraude d'au moins 2,5 milliards de roubles (environ 33 millions d'euros) à l'encontre de la banque Vostotchny. Tous clament leur innocence et se disent victimes de représailles à la suite d'un conflit entre actionnaires.
Dans une tribune publiée par le quotidien économique Vedomosti, Maxime Bouïev, vice-recteur de la New Economic School de Moscou, y voit la preuve de ce que "les investisseurs savent depuis longtemps: si tu veux investir en Russie, il faut être prêt à finir sur le banc des accusés".
Cette affaire est la dernière d'une longue liste de poursuites visant des dirigeants d'entreprises en Russie, souvent accusées d'être motivées par des règlements de comptes commerciaux, voire politiques.
Les réactions ont été vives dans les milieux économiques russes, y compris proches des autorités, en raison de la bonne réputation de Baring Vostok qui a permis d'attirer plus de 3 milliards de dollars de capitaux depuis sa création il y a 25 ans, y compris ces dernières années malgré les tensions géopolitiques et les sanctions occidentales.
Ce fonds d'investissement a "toujours constitué un standard de probité pour le marché", souligne Arkady Voloj, patron du géant numérique Yandex, dans lequel Baring Vostok a investi.
- "Image détestable" -
Au delà de la probité de Baring Vostok, le monde économique craint un coup porté au climat des affaires, déjà miné, selon de nombreux experts, par le manque d'indépendance de la justice, surtout vu les méthodes musclées employées.
"Cela donne une image détestable de la Russie à l'étranger", a résumé Emmanuel Quidet, président de la chambre de commerce franco-russe, interrogé par l'AFP.
Dans une démarche rare de la part d'entreprises habituées à la discrétion, cet organisme franco-russe et l'Association of European Businesses, fédération des multinationales implantées en Russie, se sont dit "très préoccupées" d'une arrestation qui "pourrait nuire gravement (...) à l'attractivité de la Russie en matière d'investissement direct à l'étranger."
Dans leur déclaration commune, elles "estiment également que les différends commerciaux devraient être résolus dans la mesure du possible par le biais de procédures civiles telles que l'arbitrage et que l'application immédiate de procédures pénales telles que la détention devrait être évitée."
Le Kremlin s'est voulu rassurant, affirmant que ces évènements ne "doivent pas affecter" le climat des affaires, et a salué l'apport à l'économie russe de M. Calvey, qui a rencontré Vladimir Poutine à de nombreuses reprises.
- "Qui sera le suivant?" -
Pour un connaisseur des investissements étrangers en Russie cependant, le mal est fait: "Cette nouvelle secoue les banquiers occidentaux en Russie", a-t-il déclaré sous couvert d'anonymat. "Le timing est mauvais".
Le gouvernement a dévoilé début février son plan de plus de 340 milliards d'euros pour atteindre ses objectifs économiques, et soutenir une croissance qui devrait ralentir cette année, ce qui nécessite d'importants investissements privés.
"C'est un électrochoc", assure à l'AFP une source au sein de l'Association of European Businesses. "On a l'impression que des concurrents instrumentalisent la justice et les services russes pour régler leurs comptes. Mais que les autorités se laissent instrumentaliser donne un signal très négatif. On se demande qui sera le suivant".
Dans le journal indépendant Novaï Gazeta, l'éditorialiste Ioulia Latynina y voit plus qu'un simple conflit commercial, dans un contexte de tensions Est-Ouest marquées par des affaires d'espionnage et d'ingérence: "Pour les responsables de la sécurité, les hommes d'affaires sont des criminels et les étrangers, des espions".
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