Le baril à 70 dollars : une mauvaise nouvelle

Auteur(s)
Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir
Publié le 08 mars 2021 - 11:44
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Pétrole
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AFP
Du pétrole et des idées
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CHRONIQUE - Le 5 mars dernier, le baril de pétrole brut a frôlé les 70 dollars. Cette flambée des cours de l’or noir est d’autant plus préoccupante que la plupart des pays consommateurs de pétrole sont loin d’avoir retrouvé leur niveau économique d’avant la pandémie,.

Pourquoi cette flambée ?

La réponse doit être cherchée, non plus du côté de la demande puisque le Covid 19 fait toujours des ravages chez les pays consommateurs de pétrole, mais du côté de l’offre. Et la réponse est facile à trouver : l’Arabie saoudite a retrouvé son pouvoir de « faiseur de prix ».

Ces dernières années, le prix du baril ne pouvait dépasser durablement les 50 dollars, qui était le seuil de rentabilité du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Dès que le prix du baril dépassait ce seuil, l’extraction américaine battait son plein, et le baril redescendait au-dessous de 50 dollars. Cependant, l’an dernier, la chute brutale des prix du pétrole jusqu'à 12 dollars, due à la pandémie, a littéralement ruiné les extracteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis, dont certains ont fait faillite tandis que d’autres réduisaient leurs investissements, cherchant à satisfaire d’abord leurs actionnaires, et il faudra attendre au moins 2022 pour que l’extraction américaine reprenne, si le prix du pétrole se maintient au niveau atteint aujourd'hui. Sans compter que les grandes compagnies pétrolières, dont Total, ont elles aussi considérablement réduit la voilure en abandonnant la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, notamment en eau profonde, se soumettant nolens volens au diktat des lobbies écologistes qui leur imposent de se « verdir », alors même qu’avec un baril à 70 dollars ces nouveaux gisements seraient redevenus très rentables…

Du coup, il a suffi à l’Arabie saoudite de moins ouvrir son robinet de pétrole (elle a réduit sa production d’un million de barils par jour, soit 10% environ du niveau habituel) pour catapulter les prix vers le haut. Avec la complicité de la Russie, elle a convaincu les autres membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) de soutenir cette stratégie haussière.

MBS et le duc de Rohan

On n’ira pas jusqu'à dire que cette hausse volontaire du prix du pétrole est une nouvelle mauvaise manière de l’homme fort de l’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dit MBS, après que les Etats-Unis ont reconnu officiellement sa responsabilité dans le meurtre du journaliste americano-saoudien Jamal Khashoggi. Car si c’était le cas, cela voudrait dire que MBS se laisse guider par des considérations très personnelles. Qu’il n’ait pas la même relation avec Joe Biden qu’avec Donald Trump est une évidence, mais comme le dit si bien le duc de Rohan dans son ouvrage sur l’art de gouverner : « Les princes commandent aux peuples, et l’intérêt commande aux princes ». Gageons que le prince saoudien ne fait pas exception à cette règle. Et du reste, il est bien de l’intérêt de l’Arabie saoudite et des autres pays exportateurs de pétrole de profiter au maximum de l’opportunité que leur offre la réduction de l’extraction de pétrole de schiste aux Etats-Unis, d’autant que cette réduction risque d’être temporaire.

L’actuelle flambée des cours de l’or noir, accompagnée de hausse de prix d’autres matières premières, signale que l’inflation pourrait bien être de retour. Un autre signe de ce retour est la hausse récente des taux d’intérêt sur les prêts à long terme aux Etats-Unis. Cette hausse signifie que les prêteurs sur ce marché ont moins confiance dans la stabilité des prix des biens et services au cours des prochaines années, et qu’ils demandent donc à être davantage rémunérés pour les risques qu’ils prennent à prêter de l’argent à long terme. Cette moindre confiance est elle-même, évidemment, causée par le super laxisme monétaire de Joe Biden, qui a donné un coup d’accélérateur supplémentaire à la planche à billets aux Etats-Unis, en distribuant de l’argent à tout le monde et à son chien.

La prochaine réunion de la Banque Centrale Européenne, le jeudi 11 mars prochain, va être particulièrement difficile à mener. Et l’on n’aimerait pas être à la place de Christine Lagarde. Certes, les banque centrales dominent le marché des prêts à court terme puisqu’elles font jouer la planche à billets, mais elles n’ont qu’une influence indirecte sur le marché des prêts à long terme, où les taux évoluent d’abord en fonction des anticipations des agents financiers. Une confirmation de la hausse des taux d’intérêt à long terme serait pour Madame Lagarde la pire des nouvelles puisqu’elle risquerait d’invalider toute la politique monétaire qu’elle a menée depuis son intronisation le 1er novembre 2019.

A suivre, donc.
 

Post-scriptum : Dans une précédente chronique publiée le 4 janvier dernier, nous observions un écart extraordinaire entre le cours de l’or et le cours du pétrole, causé par les effets économiques de la pandémie : avec une once d’or, on pouvait acheter 37 barils de pétrole brut. Et nous nous interrogions sur la durabilité d’un écart aussi extravagant.

Aujourd'hui, 8 mars 2021, l’once est à 1429 dollars. Avec une once d’or, je puis donc acheter seulement 20 barils. Une équivalence déjà connue dans le passé. C’est dire que la situation, au moins du point de vue des cours l’or jaune et de l’or noir, est moins anormale. Dans les années 1970, l’once d’or valait dix barils. On en est encore très loin.

 

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