Les 200 milliards d'épargne des Français : absurdes ou rationnels ?
CHRONIQUE - D’ici la fin de l’année 2021, selon les calculs de la Banque de France, le surplus d’épargne des Français aura atteint la somme énorme de 200 milliards d’euros - deux fois l’équivalent du « plan de relance ». De quoi faire tourner les têtes politiques, d’autant plus vite que l’échéance présidentielle approche. Bruno Le Maire, notre inventif ministre des Finances, a trouvé une solution : faciliter fiscalement les donations entre générations, pour que les jeunes dépensent ce que les vieux ont mis de côté. Évidemment, on lui a opposé qu’il ne ferait ainsi qu’aggraver les inégalités sociales.
Qu’il y ait tant d’épargne thésaurisée alors qu’il y a tant besoin d’investir montre bien, en tout cas, à quel point de bizarrerie notre économie est parvenue. Normalement, le destin d’une épargne est d’être investie, comme l’enseignent tous les bons manuels d’économie. Mais dans notre pays de Cocagne, l’Etat s’endette à des niveaux jamais vus pour investir alors que les épargnants dépassent leurs records de thésaurisation en laissant dormir leur argent. En fait, la relation classique entre épargne et investissement est depuis longtemps profondément pervertie. Où est la faille ?
Il est vrai qu’une partie de ce surcroît d’épargne est davantage de la non-dépense qu’une épargne authentique ; confinés, les Français ont réduit considérablement leurs consommations de loisirs : restaurants, cinémas, théâtres, concerts, voyages, vacances et loisirs en tous genres. Sans compter que beaucoup de petits et gros malins ont profité de cette orgie monétaire d’origine étatique pour accéder à des subventions, aides, prêts, garanties, remboursements auxquels ils n'avaient pas droit. Cet argent subtilisé au Trésor public, il vaut mieux le planquer.
Des voix s’élèvent pour taxer l’énorme cassette amassée à la faveur de la crise sanitaire pour qu’elle soit mise au service de l’investissement public, censé servir le Bien Commun.
Rappelons à ces avocats du Fisc 1) que la France bat déjà tous les records de « prélèvement obligatoire », et qu’il serait vraiment très mal venu et contre-productif d’alourdir un peu plus ce fardeau en ces temps de pandémie ; et 2) que l’épargne française subit déjà une taxe qui ne dit pas son nom, qui est comme silencieuse, à savoir que les taux d’intérêt sont quasiment nuls.
Ce deuxième point est fort peu connu[1], il n’en est pas moins essentiel à la compréhension de la situation actuelle.
Rappelons que ces taux d’intérêt quasi-nuls sont causés par la politique monétaire de la Banque centrale européenne, soutenue et approuvée par notre gouvernement et le gouverneur de la Banque de France.
Supposons que le manque à gagner de l’épargnant français du fait de cette politique soit équivalent à un taux d’intérêt de 1%. Rapporté au surplus d’épargne des Français de 200 milliards, cela équivaut à un impôt clandestin de 2 milliards. Ces deux milliards volés subrepticement à l’épargnant, c’est exactement ce que rapporte l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI, qui a remplacé l’ISF), mais ce vol clandestin est d’autant plus injuste qu’il frappe pareillement tous les épargnants du plus modeste au plus aisé, alors que l’IFI est censé frapper les gros riches.
D’autre part, pour que les épargnants français retrouvent d’eux-mêmes le chemin de l’investissement, il faudrait évidemment que les entreprises ne soient pas surchargées d’impôt et de réglementation et puissent distribuer des dividendes à leurs actionnaires, qui ne soient pas eux-mêmes surtaxés. Tout un univers très éloigné de celui qui règne dans la doulce France.
« Les entreprises qui ont besoin de trésorerie aujourd’hui, en particulier les grandes entreprises, et qui demandent l’aide de l’Etat, ne peuvent pas, ne doivent pas verser de dividendes », a déclaré en mars 2020 Bruno Le Maire sur BFMTV. Ajoutant : « Nous veillerons à ce que ce soit respecté. »
De grands groupes industriels, tels qu’Alstom ou Thales, ont obéi. De même la moitié des entreprises du « SBF 120 », un indice qui englobe les 120 premières entreprises françaises cotées en Bourse, ont fait le choix d’annuler le versement de dividendes en 2020.
De leur côté, toutes les grandes banques françaises ont renoncé à verser des coupons à leurs actionnaires. Mais c’était plus pour se soumettre aux injonctions de la Banque centrale européenne, dont elles dépendent pour se refinancer.
Dans cette ambiance de dividendes interdits comme les fruits défendus du Jardin d’Eden, pourquoi l’épargnant grand ou petit oserait-il risquer ses économies dans des placements, pourtant risqués, qui ne rapportent rien ?
Enfin, les Français sont plus perspicaces qu’on ne le croit. Ils thésaurisent parce qu'ils ont le pressentiment – justifié – que les largesses étatiques qui font monter la dette publique à des niveaux stratosphériques devront un jour ou l’autre se payer par des augmentations d’impôts qui viendront réduire d’autant leurs économies, et même leurs revenus. Donc ce surplus d’épargne, ils préfèrent le garder le plus liquide possible pour parer à toute éventualité.
Conclusion : les épargnants français sont en fait tout-à-fait rationnels, mais ils vivent dans un système économique absurde.
[1] On en trouvera une explication détaillée dans Europe's Century of Crises Under Dollar Hegemony,A Dialogue on the Global Tyranny of Unsound Money, Brown Brendan, Simonnot Philippe, Palgrave 2020).
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