"Open bar'" de Bercy : l'ardoise magique !
« Prêts garantis par l'Etat : Bercy anticipe très peu de défauts », titraient à la une nos confrères des Echos, le 19 septembre dernier. Avec ce commentaire : « Le gouvernement a prévu une enveloppe de 1,3 milliard d'euros dans le projet de loi de finances 2021 au titre de son exposition aux PGE. Rapporté au volume de 140 milliards d'euros de prêts accordés d'ici la fin de l'année, ce montant correspond à une sinistralité [1] de 1% sur un an. » Et de préciser, en citant une source proche du ministère des Finances : « A ce niveau, c'est de l'argent public bien placé ». Bercy allait même jusqu'à se vanter d’avoir fait de la France la championne du prêt garanti par l'Etat (PGE), loin devant l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne.
Apparemment, fin septembre, le deuxième confinement n’avait pas été anticipé par le grand chef de l’open bar de Bercy, à savoir Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance - pour décliner tous ses titres. Annoncer que toute entité emprunteuse jouira de la garantie de l’Etat équivaut, en effet, à ouvrir un bar bancaire avec invitation à s’abreuver ad libitum. Mais, à l’inauguration de ce genre de pub, on ne sait pas très bien combien de bouteilles on va vider, ni combien de « cadavres » on laissera dans le caniveau. Ouvrir un open bar assoiffe même ceux qui n’ont pas soif. Surtout si l’on anticipe que la fête ne durera pas toujours. Du coup, des entreprises ont souscrit aux PGE même si elles n’en avaient pas besoin…
Essayons maintenant de reconstituer la manière dont Bercy avait calculé en septembre dernier la « sinistralité » de ces prêts garantis par l'Etat. Les experts de notre open bar se fondaient sur l’hypothèse de 4,6% de défaut de paiement sur l’ensemble des prêts. Admirez la précision statistique de cette ardoise magique. Il en résultait, sur 140 milliards de prêts, une perte de 6,44 milliards d’euros. Mais cette perte serait en partie compensée, disait-on, par les primes de garantie prélevées par l’Etat sur chaque prêt, soit au total 2,9 milliards d’euros. Les prêts garantis ne coûteraient donc que 3,6 milliards d’euros à l’Etat sur plusieurs années, les remboursements des PGE étant étalés dans le temps. Ainsi, pour le seul budget de 2021, Bercy aboutissait à un coût de seulement 1,3 milliards d’euros. Une modeste rivière pour un océan déficitaire qui devrait atteindre dès 2020 248 milliards d’euros, soit 11,3 % du produit intérieur brut (PIB).
Ces comptes de l’open bar de Bercy sont évidemment caducs aujourd'hui à cause du reconfinement. Déjà des voix s’élèvent parmi les emprunteurs pour ne pas rembourser ces PGE. Après tout, ils ne sont pas responsables de la pandémie qui les ruine. Dans ces conditions, les défauts de remboursement pourraient atteindre au moins 10% du total, soit 14 milliards. D’où une perte pour l’Etat de quelque 10 milliards d’euros en 2021.
Déjà, Bercy a calculé que la dette de l’Etat devrait atteindre à la fin de cette année quelque 2600 milliards, soit 120% du PIB- un record absolu. Ajouter une dizaine de milliards à ce fardeau n’est pas anodin. Tout se joue à la marge sur les marchés financiers.
En outre, que n’importe quelle entreprise française puisse emprunter à l’abri de la signature de l’Etat ne peut être anodin pour la renommée de cette même signature. La sanction de cet avilissement pourrait être une remontée des taux d’intérêt qui serait fatale pour les finances publiques. On comprend mieux dès lors pourquoi Bercy a essayé de faire fonctionner son ardoise magique. Mais aujourd'hui, même le ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance doit se rendre compte de la réalité.
L’Etat doit payer cette année près de 40 milliards d’euros pour payer les intérêts de sa dette – presque autant que le budget de la Défense nationale ! – alors que les taux sont exceptionnellement bas.
On dira pour se rassurer que tous les pays européens sont logés à la même enseigne et que la signature de la France est la pire à l’exception de toutes les autres. Eh bien ! ce n’est pas vrai. Championne des PGE et des maquillages budgétaires, la France risque tout simplement un déclassement sur les marchés financiers.
[1] Sinistralité : terme affreux emprunté à l’économie assurantielle : c'est un ratio entre le montant des sinistres à dédommager et celui des primes encaissées.
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