Les nucléocrates encore et toujours à la manœuvre
LECTURE - Quand j’écrivais Les Nucléocrates* en 1977-1978, je n’imaginais certainement pas que je me trouverai, près d’un demi-siècle plus tard, confronté à la même orgueilleuse oligarchie. Or, c’est bien ce qui ressort du livre – lumineux, c’est bien le cas de le dire – que Yves Jacquin-Depeyre vient de publier aux Editions Odile Jacob, La Révolution du Solaire. Les Nucléocrates en France sont toujours aussi puissants et influents.
En effet, affirme Jacquin-Depeyre, la construction dans notre pays de Très Grandes Centrales Solaires (TGCS), est essentielle pour réussir la transition énergétique sans dégradation du niveau de vie des Français. Ces TGCS devraient s’étendre sur plusieurs centaines d’hectares pour faire chuter le prix de l’électricité. « C’est précisément pour cette raison, affirme-t-il, que les grands acteurs de l’énergie ne sont pas pressés d’en réaliser en France. »
Plus explicitement encore : ces mêmes grands acteurs ont « interdit » à l’énergie solaire de « devenir compétitive » par changement d’échelle, la cantonnant à de minuscules installations, forcément pas rentables et, qui plus est, subventionnées d’une manière ou d’une autre par l’Etat.
Qui sont ces « grands acteurs » ? Ce sont principalement les défenseurs de l’énergie nucléaire, répond Yves Jacquin-Depeyre. Et pourquoi donc s’opposeraient-ils aux Très Grandes Centrales Solaires ? Précisément parce qu'elles feraient baisser tellement le coût de l’électricité que le nucléaire ne serait plus du tout rentable.
Surplombant ces « grands acteurs », on trouve, comme on pouvait s’y attendre, « l’influence déterminante » du plus puissant d’entre eux, à savoir EDF, à laquelle Jacquin-Depeyre consacre tout un chapitre décapant, dénonçant son « double langage », son « obstination suicidaire » dans la construction des EPR, l’ « énormité » de son « mensonge industriel »– tout en plaignant « les très nombreux épargnants qui ont perdu presque tout ce qu’ils avaient misé sur notre électricien national lors de sa privatisation » et en fustigeant le biais fiscal qu’elle a réussi à faire maintenir en faveur de l’électricité d’origine nucléaire, cinq fois moins taxée que l’électricité photovoltaïque pour ce qui concerne l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau (IFER).
Les écologistes eux-mêmes sont entrés dans ce jeu mortel pour l’écologie elle-même. « Naïfs et hostiles par principe à l’idée même de profit, explique notre auteur, les écologistes de la première heure n’ont pas compris que la rentabilité constituait la clef du succès de toute révolution énergétique. Ils se sont égarés dans la piste anecdotique de l’autoconsommation et des installations en toiture qui répondait à leurs aspirations personnelles ». Anecdotique et forcément non rentable…
Hulot sous influence
« On peut se demander, va jusqu'à écrire notre auteur, dans quelle mesure [ces mêmes écologistes] n’ont pas été parfois eux-mêmes instrumentalisés, pour donner un semblant de consistance à leur opposition à la réalisation de grandes centrales solaires au sol ».
Nicolas Hulot, lui-même, serait sous influence. « En effet, constate Yves Jacquin-Depeyre, en tant que ministre d’Etat, numéro deux du gouvernement et surtout ministre de l’Ecologie de 2017 à 2018, il a eu la haute main sur toutes les réglementations environnementales […] A l’époque où il exerça ses fonctions, il n’était pas possible d’échapper à une réflexion sur la place donnée au photovoltaïque. Il lui aurait été facile de lever les interdictions posées par ses prédécesseurs et de créer la possibilité d’une réelle transition énergétique. Si rien n’a changé, c’est donc qu’en réalité le ministre lui-même ne l’a pas souhaité. »
Terrible constat, aggravé encore par une note en bas de page assassine pour notre Hulot national : « La Fondation pour la Nature et l’Homme de Nicolas Hulot a pour mécène RTE, une filiale majeure d’EDF »
Comme Brice Lalonde, ex–ministre de l’Environnement, a cosigné avec Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, dans les Echos du 30 octobre 2020 un tribune vantant les mérites de l’électricité d’origine nucléaire, Jacquin-Depeyre en conclut que « les deux anciens ministres et porte-drapeau de l’écologie semblent bien s’être déjà ralliés au leader du nucléaire. » C’est-à-dire à EDF.
Il y a tout de même une différence entre les Nucléocrates d’hier et d’aujourd'hui. Ceux des années 1970, à la pointe de l’innovation, devaient dans l’urgence trouver une réponse au chantage des pays arabes exportateurs de pétrole. Aujourd'hui, ils défendent leur pré carré dans une situation où l’urgence ne semble pas aussi immédiate, alors même qu’ils ne sont plus à la pointe du progrès technique puisque leur savoir-faire traite encore de particules de matière quand les photons qu’utilise les centrales solaires ne sont que pure énergie. Tout de même ils ont réussi à maintenir leur influence en France. Bravo, les artistes de la coulisse !
*Presses Universitaires de Grenoble, 1978. cf. la recension du livre par le sociologue Alain Touraine dans "le Monde".
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