Derrière le mouvement des "matons", la colère des détenus et de leurs familles

Auteur:
 
Par Marie DHUMIERES et Romain FONSEGRIVES - Fleury-Mérogis (France) (AFP)
Publié le 23 janvier 2018 - 19:00
Image
Des surveillants de prison sont rassemblés devant la prison de Nice, le 22 janvier 2018
Crédits
© VALERY HACHE / AFP
Des surveillants de prison sont rassemblés devant la prison de Nice, le 22 janvier 2018
© VALERY HACHE / AFP

Ateliers suspendus, promenades annulées ou écourtées, parloirs aléatoires... A travers la France, des détenus et leurs familles se sentent "pris en otages" par le mouvement des surveillants et mettent en garde contre une situation explosive.

Inédite par son ampleur depuis vingt-cinq ans, la mobilisation des "matons" est entrée dans son neuvième jour et commence à faire grimper la tension derrière les barreaux.

"Moi j'appelle ça une prise d'otage avec demande de rançon", s'énerve au téléphone Abdel (prénom d'emprunt), un des 4.300 détenus de Fleury-Mérogis (Essonne). Le débit nerveux, il raconte à l'AFP "la galère" des parloirs retardés presque chaque matin dans la plus grande prison d'Europe: "Si ça continue, ça va partir en cacahuète", prévient-il.

Dans son bâtiment, ses co-détenus sont privés de sport et d'ateliers de travail. Lui n'a pas pu vider sa poubelle depuis quatre jours et "ça commence à sentir", raconte-t-il. L'unique promenade quotidienne est parfois ramenée à une heure au lieu de deux.

"Ils savent que ça nous fout à cran, que les mecs ont besoin de leur cigarette, de respirer un peu d'air frais", fulmine-t-il. "On dirait qu'on essaie de nous pousser à bout pour créer des incidents et avoir des preuves à ramener à la télé."

De fait, les mouvements d'humeur se multiplient. Jeudi, 123 détenus de Fleury ont refusé de réintégrer leurs cellules après la promenade, en signe de protestation. Au centre de détention d'Uzerche (Corrèze), une vingtaine de prisonniers ont organisé un sit-in mardi, dans un bureau dédié aux agents pénitentiaires.

D'autres témoignages similaires affluent de partout en France, selon l'Observatoire international des prisons (OIP) qui relaye dans un communiqué les confidences d'un détenu de Longuenesse (Pas-de-Calais).

"Depuis quelques jours, absence de parloir, de promenade. Je ne peux pas voir ma femme depuis sept jours", écrit-il. "Aujourd'hui, nous avons été enfermés totalement et n'avons eu qu'un léger repas à 16H30, rien d'autre."

- Familles en colère -

A Nantes, au Havre (Seine-Maritime), à Riom (Puy-de-Dôme), "des soignants ont tiré la sonnette d'alarme", selon l'OIP: les extractions vers les hôpitaux sont perturbées, certains traitements médicaux ne sont plus distribués.

Victimes elles aussi des blocages, les familles subissent, bon gré, mal gré. Devant les murs gris de Fleury-Mérogis, de nombreux proches estiment que les surveillants "n'en ont rien à foutre de nous".

"Jeudi dernier, je ne suis pas rentrée (dans la prison)", raconte une mère de 50 ans, qui rend visite à son fils de 21 ans chaque semaine. "Les policiers sont intervenus, il y avait des gaz (lacrymogènes), c'était trop et je suis partie. J'ai appris qu'ils ont ouvert 15 minutes après."

"On attend, trois, quatre heures, on galère dans le froid mais au moins ici en général, on rentre", note Sonia Da Silva, 38 ans. "A Fresnes, parfois ils attendent quatre heures et ils repartent bredouilles".

Au fil des entrevues hebdomadaires avec son fils, elle a développé une certaine empathie pour les gardiens.

"Ils ne sont pas assez nombreux, alors tout prend plus de temps. Pour un mal aux dents, il faut attendre dix jours ou plus pour voir un médecin", explique-t-elle. "Si leurs conditions s'améliorent, celles des détenus s'amélioreront aussi", espère-t-elle.

"C'est pas facile pour nous non plus", tente de faire comprendre un surveillant aux familles. Lui assure les parloirs sans pause, pour rattraper les retards.

Les violentes agressions de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et de Borgo (Haute-Corse) l'ont poussé à se mobiliser. "Se prendre une gifle, une droite, un crachat, ok, mais un coup de couteau non", lance-t-il aux visiteurs.

"Personne ne les a forcés, ils savaient pour quoi ils signaient, s'ils ne sont pas contents ils n'ont qu'à faire un autre métier", rétorque une jeune femme.

De l'intérieur de sa cellule, Abdel ne décolère pas lui non plus. "Comment voulez-vous réinsérer les détenus si ceux qui les encadrent démontrent que le chantage et l'oppression, ça marche?"

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.