Financement de Daech en Syrie : que risque Lafarge ?
Le 9 juin 2017 était ouverte une information judiciaire pour "financement d’entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d’autrui" à l’encontre de Lafarge.
Les trois juges désignés, un juge antiterroriste, David De Pas et deux juges du pôle financier, Charlotte Bilger et Renaud Van Ruymbeke, doivent désormais déterminer les liens qu’aurait pu entretenir le cimentier avec les organisations terroristes en Syrie, et notamment Daech, pour pouvoir maintenir l’activité de la cimenterie de Jalabiya, dans le nord du pays, malgré la guerre civile. En 2014, l’Etat islamique s’était finalement emparé du site.
Dans un communiqué fin mars 2017, le groupe LafargeHolcim (Lafarge étant intégré depuis 2015 au sein du groupe suisse Holcim) a reconnu avoir financé "indirectement" des groupes armés syriens pour conserver son activité dans le pays, en 2013 et 2014. C’est ainsi que sa filiale locale aurait tenté d'amadouer plusieurs groupes qui contrôlaient ou tentaient de contrôler les zones autour de la cimenterie. Elle a ainsi remis des fonds à des tiers en espérant trouver des arrangements et préserver ses activités, en dépit des sanctions qui visaient certains de ces groupes terroristes.
Par ailleurs, plusieurs dirigeants auraient reconnu devant les enquêteurs que des versements auraient été effectués, jusqu’à 100.000 dollars par mois.
Que risque Lafarge?
Lafarge est poursuivi pour "financement d’une entreprise terroriste" et "mise en danger de la vie d’autrui". Les sanctions pourraient être lourdes si le groupe était reconnu coupable d’un tel financement en connaissance de cause.
L’article 421-2-2 du code pénal prévoit en effet que "constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte".
Depuis la loi du 21 juillet 2016, cette infraction est punie de 10 ans d'emprisonnement et de 225.000 euros d'amende (article 421-5 du code pénal).
L’article 223-1 incrimine pour sa part la mise en danger de la vie d’autrui, punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende.
A noter que l'amende applicable aux personnes morales est égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques par la loi qui réprime l'infraction. Il faut donc multiplier ces montants par cinq.
En outre, les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, et pourrait encourir tout un panel de peines complémentaires:
-L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales;
-La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés;
-L'exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus;
-L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre ses titres financiers aux négociations sur un marché réglementé;
-L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus de percevoir toute aide publique attribuée par l'Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d'une mission de service public.
Et cela peut aller jusqu’à la dissolution de la personne morale (article 13-39 du code pénal).
On le voit, Lafarge risque donc très gros dans cette affaire de financement présumé de groupe terroriste. L'entreprise et ses dirigeants pourraient tenter de démontrer -ce qui parait constituer sa ligne de défense probable-, qu’ils se trouvaient dans un "état de nécessité" (exonérant de la responsabilité pénale) qui aurait pu justifier les paiements, afin de préserver la sécurité des employés et des installations en danger sur place.
Retrouvez d'autres analyses de l'actualité juridique sur le blog de Thierry Vallat
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