Non-dénonciation d'agressions sexuelles : la loi modifiée avant le procès Barbarin
Le procès annoncé du cardinal Philippe Barbarin, poursuivi pour ne pas avoir dénoncé à la justice des agressions pédophiles, prend du retard mais les plaignants s'estiment confortés par une récente modification du Code pénal.
L'archevêque de Lyon, mis en cause par d'anciens scouts avec six autres personnes dont le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, l'Espagnol Luis Francisco Ladaria Ferrer, devait initialement comparaître devant le tribunal correctionnel en avril.
Le procès avait alors été repoussé à janvier, la citation du prélat romain - traduite en bonne et due forme - n'ayant pas été délivrée dans les délais prévus par la loi.
Depuis, la procédure a encore pris du retard et une audience de consignation prévue lundi en vue de la comparution du cardinal espagnol - elle fixe la somme que les plaignants doivent provisionner pour couvrir une éventuelle amende - est compromise.
Si le tribunal en programme une autre, le procès pourrait être décalé une nouvelle fois. Les plaignants tiennent en effet à ce que le préfet du Vatican, consulté par Mgr Barbarin sur le prêtre incriminé - il lui avait conseillé de le sanctionner en évitant un scandale public -, comparaisse avec les autres prévenus afin de dénoncer les silences de toute l'institution catholique.
Mais la défense du Primat des Gaules s'opposera à un nouveau renvoi. "Cela suffit, ce n'est pas à nous de payer les conséquences des erreurs qu'ils peuvent commettre", tranche Me Jean-Félix Luciani.
Cette citation directe a été lancée en 2017 après le classement sans suite, en 2016, d'une enquête du parquet sur les mêmes faits. Les contre-temps s'accumulent depuis mais les plaignants ne désarment pas, confortés par de récents appels à la démission de l'archevêque lyonnais ainsi que par la loi Schiappa contre les violences sexuelles et sexistes.
- Rétroactivité -
Adoptée le 3 août, celle-ci a en effet modifié l'article 434-3 du Code pénal qui fonde leur action.
Jusqu'alors, le texte prévoyait de sanctionner "quiconque ayant eu connaissance" d'abus sans en informer la justice. Le participe passé a été supprimé et le délit s'inscrit désormais dans la durée: "quiconque ayant connaissance" de ces faits doit les signaler "tant qu'ils n'ont pas cessé".
"On a enlevé deux petites lettres; personne ne s'en est rendu compte. Or, c'est capital", souligne la sénatrice LR de Saône-et-Loire Marie Mercier. Pour la commission des lois de la Haute Assemblée, dont l'élue a rédigé le rapport afférent, la non-dénonciation est maintenant clairement définie comme un délit "continu": tant qu'une personne manque à son obligation de dénoncer, on peut le lui reprocher.
Ce que les plaignants de l'affaire Barbarin ont toujours soutenu. Alors que le parquet, pour classer l'affaire, s'est appuyé sur une jurisprudence (unique) de la Cour de cassation envisageant au contraire le délit de non-dénonciation comme "instantané", commençant "au moment où la connaissance des faits est acquise" et prescrit au bout de trois ans - le délai est aujourd'hui de six.
"La loi vient clairement confirmer notre position", estime François Devaux, cofondateur de l'association La Parole Libérée qui porte la procédure.
Reste à savoir si cela change la donne pour le procès à venir. "Si la loi a été faite pour clarifier l'article 434-3, sans créer de droit nouveau, celui-ci pourrait s'appliquer dès maintenant. Mais si elle change la nature de l'infraction, il ne peut y avoir de rétroactivité" sur les procédures en cours, analyse Philippe Bonfils, professeur à l'université Aix-Marseille et doyen de la Faculté de droit.
Lui penche pour la première option, la défense pour la seconde. Me Luciani estime surtout que le nouveau texte "ne change rien" au cas du cardinal Barbarin car les agressions incriminées ont cessé en 1991, soit bien avant qu'il en ait connaissance au milieu des années 2000 et qu'il rencontre en 2014 une première victime en mesure de porter plainte, ce qu'elle fit au final. Après cette date, le parquet a écarté toute entrave à la justice de la part de l'archevêque.
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