Procès d'une filière djihadiste : la difficulté d'évaluer la dangerosité des prévenus
"Pas de talent divinatoire", "pas de boule de cristal". Le réquisitoire du procureur au procès à Paris d'une filière djihadiste, impliquant des mineurs, a illustré lundi 11 la difficulté pour la justice d'évaluer la dangerosité des prévenus. Impossible de sonder les âmes, la justice ne peut faire qu'avec ce qu'elle a et juger sur la foi de "signes et éléments objectifs", a souligné le procureur Arnaud Faugère. Depuis une semaine, le tribunal correctionnel de Paris se trouve confronté à des "profils de djihadistes extrêmement divers", prévenus âgés de 16 à 48 ans lors des faits, en 2013, a relevé le magistrat.
Dans ce dossier, il y a d'abord eu deux réunions fin juin 2013, sous l'égide de Mourad Fares et Oumar Diaby, considérés comme principaux recruteurs de djihadistes français. Depuis, le premier est en prison, le second sans doute mort. Puis d'autres réunions, sans eux, des départs en Syrie, des tentatives. Parfois de mineurs ou de tout jeunes majeurs. Cinq sont encore en Syrie, un y est peut-être mort. Ils ont intégré les rangs de groupes djihadistes et "combattent", a souligné le procureur.
Des écoutes, on comprend "à quel point ils sont déshumanisés", "perdus pour notre société". Contre ceux qui représentent un "danger tout particulier", le représentant du ministère public a requis 10 ans de prison, le maximum encouru pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Mais contre ceux qui restent longtemps sur place, a expliqué le magistrat, le parquet réfléchit à demander dorénavant une qualification criminelle, car "ils partent en Syrie pour combattre et pour tuer".
Quant aux propos tenus par les présents à l'audience, le représentant du parquet a fait son tri et livré son analyse. Pour l'un, à la "personnalité terriblement ambivalente", il n'a pas le sentiment qu'il soit dangereux, tout en se montrant "plus inquiet sur le long terme". Le magistrat a aussi étrillé le "discours totalement inauthentique" de la seule femme jugée dans ce dossier, chez qui il décèle une "radicalisation persistante". Sans "aucune garantie de changement", cette jeune femme qui n'a pas la nationalité française mérite pour le parquet, outre un an de prison, dont la moitié avec sursis, une peine de "bannissement": une interdiction du territoire pour cinq ans. Le magistrat souligne la "personnalité à la fois dangereuse et inquiétante" de Silmen Nahri, l'un des deux prévenus détenus, qu'il compare à Mohamed Merah. Contre celui qui s'est mis en scène dans des vidéos, où il évoque la perspective d'attentats à La Défense, et soutient à l'audience que c'est de l'humour, il demande quatre ans de prison.
Se méfier du discours, mais pas toujours dans le sens que l'on croit. L'un des prévenus, Cédric Vuillemin, contre qui six ans de prison ont été requis, a occupé une place à part dans le réquisitoire. Agé de 25 ans, il a été arrêté à Schaerbeek (Belgique), après avoir trahi la "confiance" de la justice, qui l'avait placé sous bracelet électronique. Il ne voulait pas aller en Syrie, mais en Turquie, assure-t-il sans convaincre. A l'audience, il "alterne entre provocation et radicalisme", relève le procureur. Il a congédié son avocat, dit qu'il ne parlerait pas, pour au final le faire longuement. "On l'a vu plus occupé à prier qu'à écouter", il a affirmé qu'à sa sortie de prison il irait en Syrie rejoindre le groupe Etat islamique "prêt à combattre", a poursuivi le magistrat. "Oui, il agace", mais selon M. Faugère, sa dangerosité est "surjouée", il n'a "pas forcément les moyens de ses ambitions". Il se voudrait chef sans en avoir les qualités, a une "personnalité vaniteuse voire mythomane". Si Vuillemin allait en Syrie comme il le dit, le procureur lui prédit une espérance de vie réduite. Non à cause de ses ennemis. Pour le magistrat, il risquerait de tomber "sous les balles de ses propres chefs qui seront sans doute insupportés".
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