Suicides dans la police, le grand déni
L'hommage à Aurélia interdit par le Préfet de police de Paris
En septembre dernier, Aurélia, une jeune policière de 27 ans se donne la mort. Blessée dans l’exercice de ses fonctions, et souffrant d’un important syndrome post-traumatique, la jeune femme rejoint le grand nombre de victimes de ce qui est qualifié de « première cause de mortalité dans la police », le suicide.
Ce mercredi 10 mars, des collègues et familles de policiers suicidés auraient dû rendre un hommage à Aurélia, ainsi qu’à ses « camarades suicidés », sous forme d’une manifestation statique, place des Invalides à Paris. L’évènement, organisé par Hors Service, une association de policiers spécialisée dans la lutte contre les suicides et le syndrome de stress post-traumatique dans la police, avait été autorisé par la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation de la Préfecture de Paris. Mais au dernier moment, la veille, le préfet a décidé d’interdire l’hommage afin de prévenir de « possibles manquements aux mesures sanitaires Covid-19 ». Une décision préfectorale accueillie avec stupéfaction par les fonctionnaires et les familles mobilisés pour l’évènement, qui accordent peu de crédit au prétexte pandémique. Une conférence de presse atypique est donc organisée « à l’arrache », dans un petit appartement d’Issy-les-Moulineaux.
Car pour les organisateurs, il n’est pas question de renoncer à faire entendre leur voix, et surtout celle d’Aurélia.
Le suicide dans la police est un véritable fléau : le taux de suicides chez les policiers est 41% supérieur à celui de la population active générale. C’est considérable, et le phénomène devrait faire l’objet d’une réflexion collective approfondie… qui ne vient pas. Devant l’indifférence de leurs directions, des fonctionnaires ont décidé de prendre le problème en main, et d’élaborer des solutions pour améliorer la situation. Et non seulement un élémentaire soutien de l’institution peine à venir, mais les hiérarchies tendent à s’enfermer dans un mur de déni. Quand un policier se suicide, une enquête administrative suit, qui conclut presque toujours que l’origine du geste est à chercher dans des problèmes familiaux. Dans la police, on se suicide beaucoup plus qu’ailleurs, mais l’institution n’y serait pour rien.
Aurélia, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Connaissant la propension de l’administration à se dédouaner de ses responsabilités, la jeune femme a anticipé. Avant de se donner la mort, elle a pris soin de laisser des lettres et une vidéo, où elle explique très clairement que l’abandon, et même la maltraitance, de sa hiérarchie sont seuls responsables de son geste : ce ne sont pas les problèmes personnels, « ce qui m’a fait tomber, c’est vous les collègues, accuse-t-elle, votre absence totale de soutien, et même votre plaisir à m’enfoncer. (…) Je suis à bout. Je le fais pour tous les collègues ».
Lors de sa descente aux enfers, Aurélia avait contacté Hors Service. Comme elle prévoyait que, malgré son testament vidéo, l’enquête administrative conclurait probablement à un suicide pour cause personnelle, elle a chargé l’association d’exécuter une dernière volonté : de ne pas les « laisser faire », de ne pas « les laisser s’en sortir » et de porter sa voix après sa mort pour qu’on ne laisse pas dire qu’elle que de quelconques problèmes familiaux étaient à l’origine de sa mort.
Alors en février dernier, quand l’enquête administrative a conclu qu’Aurélia s’était tuée pour des raisons personnelles, pour ses camarades, c’est un devoir de porter sa voix. « Elle s’est sacrifiée pour nous, nous ne la laisserons pas tomber.»
Vidéo : le message poignant de la jeune policière laissé avant de mourir (audio) et les extraits de la conférence de presse
Nous reviendrons en profondeur sur ce sujet sur francesoir.fr.
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