Violences pendant les manifestations : la stratégie de maintien de l'ordre est-elle la bonne ?
Nuages de gaz lacrymogènes, jets de projectiles, jeunes frappés, policiers blessés: les violences se multiplient lors des manifestations contre la loi Travail, suscitant des interrogations sur la stratégie de maintien de l'ordre adoptée par les autorités. "La doctrine vise à garantir le plus possible la liberté de manifester tout en faisant preuve de fermeté face aux casseurs", assure à l'AFP une source policière, qui insiste sur "la répétition systématique et inédite d'incidents" à Paris, Nantes, Rennes et Marseille.
Avec un bilan assez lourd: en deux mois, plus de 1.000 interpellations, quelque 300 policiers et gendarmes blessés, comme des centaines de manifestants, dont un étudiant qui a perdu l'usage de son oeil gauche à Rennes. "L'idée est d'éviter au maximum le corps-à-corps, d'où l'usage de gaz lacrymogènes qui permettent de disperser sans aller au contact. Et d'encadrer la manifestation, en tête, en queue et sur les côtés du cortège, pour éviter les dégradations", explique une autre source policière.
Avec une nouvelle difficulté: les casseurs ne sont plus forcément en fin de cortège et les violences n'attendent pas la fin de la manifestation pour éclater. "Ils se mélangent aux manifestants, cachent des sacs à dos sur l'itinéraire et cassent tout au long de la manifestation", selon cette source, critiquant les services d'ordre des organisateurs, qui "laissent les casseurs naviguer dans les cortèges". L'efficacité de cette stratégie du gouvernement, attaquée à droite comme à gauche, est aussi remise en question par des observateurs.
"La tendance historique, c'est de moins en moins de violence, y compris policière, parce qu'elle est de plus en plus délégitimée. Mais dans le contexte particulier de l'état d'urgence et d'un cumul de mouvements sociaux ("Nuit debout", mobilisation contre la loi El Khomri), il y a un problème autour de la stratégie policière mise en oeuvre lors des manifestations", estime Laurent Mucchielli, chercheur au CNRS, rattaché au Laboratoire méditerranéen de sociologie (université d'Aix-Marseille). "C'est une stratégie offensive globale contre les manifestants, qui ne cible pas spécifiquement les +casseurs+. Les policiers sont trop visibles, trop près des manifestants, ils interviennent trop tôt: leur attitude contribue à augmenter les tensions", ajoute-t-il.
De son côté, la Fédération CGT-Police a accusé dans un tract les "donneurs d'ordre" de laisser lors des manifestations "le champ libre aux casseurs" pour discréditer le mouvement social. "Côté police, il y a des comportements qui posent problème, un défaut de maîtrise. Mais je ne crois pas à une stratégie gouvernementale de criminalisation du mouvement social. Il y a aussi un durcissement des deux côtés", nuance Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des politiques policières.
"On note chez certains manifestants une préparation à l'affrontement, par exemple en venant avec des lanceurs de fusées ou de feux d'artifice. Et des policiers m'ont dit avoir utilisé à de nombreuses reprises des grenades assourdissantes ou de désencerclement, ce qui est inhabituel mais qu'ils estiment nécessaire pour réagir à une intensité plus forte de la violence", indique-t-il. Une riposte qui provoque la colère de nombreux manifestants: moins d'un an et demi après les attentats de janvier 2015 qui avaient provoqué une vague de sympathie pour policiers et gendarmes, le slogan le plus populaire dans les cortèges est "Tout le monde déteste la police".
Le syndicat Alliance, majoritaire chez les gardiens de la paix, a d'ailleurs invité ce mercredi 4 les policiers à manifester le 18 mai, pour dire "stop à la haine anti-flic", un appel rejoint par quatre autres syndicats. Les relations entre forces de l'ordre et jeunes se tendent davantage à chaque journée d'action, alors qu'à un peu plus d'un mois de l'Euro de football, policiers et gendarmes sont épuisés, entre maintien de l'ordre et gardes statiques antiterroristes. "La situation des unités de forces mobiles est inquiétante. Il n'est pas rare de mobiliser les forces 17 à 20 heures d'affilée: la fatigue s'accumulant, le risque de blessures et d'incident augmente", note un haut cadre de la préfecture de police de la capitale. "Nous atteignons un peu les limites", a reconnu le préfet de police de Paris, Michel Cadot.
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