Affaire des opioïdes : le triptyque McKinsey-Purdue Pharma-FDA cumule les conflits d'intérêts
Aux États-Unis, après le scandale des fabricants d’opioïdes, le cabinet McKinsey se retrouve une fois de plus en première ligne.
Après avoir payé 573 millions de dollars en février 2021, pour solder les plaintes de 49 États américains qui l’accusaient d’avoir contribué à la crise des opioïdes, elle-même ayant abouti à la multiplication par quatre du nombre de décès sur ordonnances liés à des surdoses, le cabinet McKinsey est sous le coup d’un nouveau scandale.
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De quoi s’agit-il ? Cette fois, c’est une vaste affaire de conflits d’intérêts qui implique non seulement le cabinet et les laboratoires pharmaceutiques, mais également la Food and Drug Administration (FDA).
L’enquête, menée par quatre journalistes du New York Times (Christ Hamby, Wait Bogdanich, Michael Forsythe et Jennifer Valentino-DeVries), révèle que le cabinet américain conseillait les laboratoires pharmaceutiques, notamment Purdue Pharma LP, tout en siégeant au sein de la FDA.
"Depuis 2010, au moins 22 consultants de McKinsey ont travaillé à la fois pour le géant pharmaceutique Purdue (fabricant d’opioïdes) et la FDA", ont révélé les journalistes.
Quel était le travail du cabinet au sein du régulateur ? Si la réorganisation devait être sa principale mission — ce qui n'empêche pas les conflits d'intérêts, certaines sources évoquent un délit plus grave encore. La direction de McKinsey aurait autorisé ses consultants à préparer les documents qui devaient être, plus tard, validés par les différents régulateurs en charge de contrôler les médicaments. Ils sont au four et au moulin.
L'OxyContin, une molécule au cœur du scandale
Au cœur du scandale, la molécule OxyContin de Purdue est particulièrement visée, bien qu'elle ne soit pas la seule.
Depuis 1995, l’OxyContin était prescrite pour soulager des douleurs sévères comme celles liées au cancer. Mais après une campagne de communication offensive, orchestrée par le cabinet McKinsey, elle aurait fait l’objet d’ordonnances abusives de la part du corps médical, qui l’aurait prescrite pour de nombreuses pathologies moins douloureuses. Pour ce faire, le géant pharmaceutique n'a pas hésité à employer les grands moyens en achetant des scientifiques renommés pour publier des études cliniques minimisant la dangerosité du médicament et les risques d’addictions. Devenue rapidement l'un des opioïdes les plus prescrits, cette molécule serait à l'origine de 52 000 décès depuis 2010.
"Au cœur des 15 ans de relation entre McKinsey et Purdue, il a été question pour le cabinet américain de mettre en place une stratégie ayant pour but de relancer les ventes d’OxyContin en ciblant les médecins, c’est-à-dire ceux qui publiaient des grands articles scientifiques faisant l’éloge du médicament", révélait le New York Post.
Si dès 2006, certains membres du corps médical alertent quant au nombre de surdosages en constante augmentation, ce n’est qu’en 2017 que le scandale des opioïdes éclate aux États-Unis. Fin décembre 2016, le directeur du CDC Thomas Frieden déclarait que "L’Amérique baigne dans les opioïdes. Il est urgent d’agir". Conscient du problème, le président Trump instaure une commission pour gérer la crise et se dit prêt à donner 500 millions de dollars pour combattre ce fléau.
La continuation des activités de Purdue
À la suite de ces révélations, Purdue rencontre des difficultés financières. Le laboratoire fait appel une nouvelle fois au cabinet McKinsey pour réorganiser ses activités. Jeff Smith, un partenaire associé très influent du cabinet, accepte cette délicate mission en décembre 2017. Avec ses collaborateurs, il examine les plans d’affaires et les nouvelles molécules proposées par le laboratoire.
Mais le travail de conseil, pour Purdue, n’est pas la seule mission du cabinet. Parallèlement, Jeff Smith et ses collaborateurs aident également la Food and Drug Administration à réorganiser le service qui donne les autorisations de mise sur le marché de la gamme de nouveaux médicaments proposés par le laboratoire.
Depuis ces révélations, le scandale ne cesse de prendre de l’ampleur à mesure que les différents médias s’en emparent. Dans un communiqué relayé par la chaîne CBS, Carolyn Malonye, présidente d’un comité sénatorial américain, demande que le cabinet de conseil soit poursuivi en justice.
"La révélation faite aujourd’hui montre qu’en même temps que la FDA dépendait des conseils de McKinsey pour garantir que le médicament était sûr et pouvait protéger les vies américaines, l’entreprise [McKinsey] était rémunérée par les mêmes géants pharmaceutiques (qui ont déclenché cette épidémie mortelle) afin de les aider à contourner les sévères régulations prévues contre les laboratoires" a-t-elle déclaré.
Malgré le fait que le scandale soit connu depuis plusieurs années, il n’y a eu aucun ralentissement dans la prescription. C’est même le contraire qui s’est produit, puisqu'avec la pandémie de SARS-CoV-2, l’anxiété générée par les confinements et l’inactivité des personnes a aggravé la crise, diminuant la possibilité d’être soigné ou secouru en cas de surdosage des victimes. Ainsi, entre avril 2020 et avril 2021, la population a continué de recourir massivement à ces antalgiques fortement addictifs à base d’opiacés. 100 306 personnes en sont mortes par surdosage, un chiffre en augmentation de 28,5 % par rapport à l’année précédente, qui déplorait 78 056 décès.
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