La pêche miraculeuse - Les maraudes de France-Soir épisode 005
Poursuivant mon mini-tour de France en voiture avec mon toutou, me voici arrivé (hier) au soleil : au bord de la Méditerranée. Et donc je m'empresse aujourd'hui de vous en faire profiter. (1)
Je suis au Cros-de-Cagnes. C'est un « lieu-dit », un quartier de la ville de Cagnes-sur-Mer (06800) long d'environ un kilomètre. « Le Cros » comme disent les locaux, commence au petit port de pêche qui s'y trouve côté Saint-Laurent du Var (06700), la ville contiguë à l'Est, et se termine un peu plus loin que la Place Saint-Pierre : le fief historique de « Bébert de Cagnes » (2). Et en latitude cette fois, « Le Cros, ça part de la plage qu'est là, et ça monte jusqu'à la voie ferrée ». Et outre donc ce petit « port-abri » créé il y a un peu plus de 50 ans par l'amicale « San Peïre dei Pesacadou dou Cros », et le fameuse Place Saint-Pierre, ce quartier qui a su rester authentique malgré l'urbanisation (petites rues et maisons de pêcheurs), englobe les immeubles et commerces situés le long de la route du bord de mer (D113) et des deux côtés de la Nationale 7, ainsi que les rues adjacentes et les cinq voies perpendiculaires, dont « l'Avenue des Oliviers » : la rue commerçante principale. Sans oublier bien sûr sa célèbre « Église jaune » (vif) : la Chapelle Saint-Pierre d'où le quartier tire son nom.
Actuellement, il ne reste plus qu'une demi-douzaine de pêcheurs professionnels dans ce petit port. Ils sont regroupés dans « la Prud'homie de pêche », dénomination légale de l'entité juridique au sein de laquelle ils gèrent ce port et officient. Un métier dur physiquement, et qu'il est devenu difficile d'exercer quand on veut pouvoir en vivre. La faute à une baisse drastique des quantités de poissons, dans une Méditerranée victime de la pollution et sur-exploitée depuis des années par la concurrence des grosses exploitations, étrangères notamment, et cumulée à une augmentation des charges sociales, qui elle aussi est très importante.
François (3), un fringant Français de soixante-sept ans, est l'un de ces douze courageux Résistants. Qu'importe les contraintes, il refuse d'abandonner le métier. Et ceci d'autant plus que, pour lui, pêcheur, c'est davantage que simplement un métier. C'est une passion. Et c'est toute sa vie, aussi. Arrière-petit-fils, petit-fils et fils de pêcheur, enfant, il accompagnait son grand-père sur son bateau. Adolescent, il aidait à « tirer » les filets (les ramener jusqu'au rivage). Et quand François a eu 18 ans, son père l'a pris pour associé à hauteur de 50% du capital, un associé qui a hérité des 50% restants, lorsque « le vieux » (décédé quelques mois à peine plus tard) a dû arrêter, trop affaibli par l'âge pour continuer qu'il était devenu.
Aucun des trois fils de François (24, 27 et 29 ans) n'a voulu reprendre le flambeau, à son grand désarroi.
Dès lors, sauf à trouver finalement (pour l'instant il cherche) - ô miracle ! - un hargneux comme lui qui lui achète « L'Antarès » (nom de son bateau), non pas en tant qu'objet de décoration, ou pire, au prix du stère de bois (3), mais pour faire en sorte que l'affaire se perpétue encore « un peu, beaucoup, passionnément », voire « à la folie » (ça aide en pareil cas), plutôt que « pas du tout », l'ami François va devoir se résoudre à le vendre comme je viens de vous le dire, pour en tirer un petit quelque chose en pécuniaire. C'est le vœu de son épouse, Janine (4), comptable ad hoc du Capitaine (5) depuis 30 ans. Les temps sont délicats, niveau budget, pour les retraités.
« Je préfère encore le brûler ! Ou mieux : le couler en mer ! », hurle François à ce sujet.
Le pauvre, elle lui trotte souvent dans la tête, l'idée de couler son frère d'armes. Avec lui dedans, évidemment. Il lui parle à haute voix, à son vieil ami motorisé (200 ch) fait de planches et de clous, son fidèle compagnon de galère en tous genres depuis plus de quarante ans.
« Et il ne se plaint jamais, lui ! », m'a-t-il dit fièrement, la larme à l’œil : un trop plein d'émotions. J'entends par là, sans référence aux difficultés énormes que je vous ai retranscrites plus haut, qui pourtant justifieraient pleinement qu'il pleurât sur son sort sans qu'on puisse lui en tenir grief.
Bravo Monsieur !
Et merci. Pour nous tous, légèrement ou nettement moins âgés que vous, qui avons encore la chance de pouvoir travailler sans risquer l'infarctus, vous êtes une source de courage. L'exemple à suivre. La parfaite incarnation de l'abnégation à la française qui fait la force de notre Nation.
1) voir à ce sujet l'épisode précédent : « La vie made in Normandie » (005).
2) une légende de la pétanque française dans les années 60-80, « LA » légende, même carrément, m'a-t-on affirmé ici, un « Bébert de Cagnes » qui de son vrai nom s'appelait Ange Arcolao.
3) bois de chauffage.
4) les prénoms ont été changés.
5) du vaisseau : « L'Antarès. »
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