Les maraudes de France-Soir - Chez Eddine ou la complexité des TPE- épisode 003

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Octave Moyens pour France-Soir
Publié le 29 avril 2024 - 14:00
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Maraudes
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Les maraudes de France-Soir - Chez Eddine ou la complexité des TPE- épisode 003
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Chez Eddine, on s'amuse et dîne. Mais pas que. On y savoure aussi des plaisirs de l'esprit. 

Eddine est le gérant et maître d'hôtel d’un restaurant situé dans le 13e arrondissement à Paris (1) « Chez Papa 13 ». Après 17 ans de bons et loyaux services, ce premier avril, ce n’est pas une blague, Eddine a réalisé son rêve : il est passé d’employé à gérant de sa propre entreprise.  Ce restaurant, c'est donc toute sa vie et il tient à ce que l’accueil, la qualité et la substantialité des plats soient au rendez-vous.

Chez Eddine

Le secteur de la restauration en France

Le site entreprise.gouv.fr recense pour la France en 2020, 214 000 entreprises dans la filière restauration, dont environ 167 000 restaurants. On peut y lire que c’est « l’un des facteurs d’attractivité touristique et un acteur clé pour l’économie française ».  Les trois quarts des établissements sont exploités par des indépendants et à 90% par des TPE (très petites entreprises). En 2022, ce secteur a connu 42 500 défaillances d’entreprise en France, dont 4 434 pour le secteur de la restauration. Malgré cela, 83% des restaurateurs peinent à recruter depuis la covid

La France est connue pour une destination touristique, pour sa « bonne bouffe », mais aussi pour ses lourdes charges. Oui ! Qu'il est difficile, en France, en 2024, d'être gérant d'un restaurant ou d’une petite entreprise, sans y être de sa poche. Voire carrément sans y être lourdement de sa poche.

Eddine en fait la triste expérience tous les jours depuis bientôt un mois. Pourquoi ? Parce que, respectueux des lois qu'il est, Edvy* et Djbril*, les deux sympathiques et compétents messieurs africains qui officient en cuisine (et qui sont ses deux seuls salariés), Eddine ne les a pas engagés « au noir. » Non. Du coup, ajoutées à tout ce qu'il y a déjà à payer, notamment une facture d'électricité qui a fait exploser son budget, les charges sociales ont fini de complètement plomber sa trésorerie. Peu importe !

La solidarité avant tout. Une solidarité très forte de tous les membres de l'équipe (ils sont quatre au total) au service d'une passion commune : celle qui s'est faite autour de cet établissement. Ce restaurant qui, en quelque sorte, est devenu un bien commun : l'espace culinaire à qui ils ont réussi à donner une âme. L'entrain qu'ils y mettent, tous, est palpable. Le plaisir également. Et plus encore, très certainement, la fierté qu'ils ont de lui donner corps et vie.

À cet égard, il me faut revenir un instant sur un élément « prépondérant », dirais-je, car significatif au possible, de ce qui caractérise Eddine, intrinsèquement, en tant qu'être humain.

Cet élément est propre à la solidarité qui honore les quatre membres de l'équipe, dont je vous ai fait état un peu plus haut. C'est le point d'honneur qu'il a mis à engager ses cuisiniers sur le fondement d'un contrat officiel, établi en bonne et due forme.

En effet, certes, je vous l'ai déjà dit, il s'est agi là, pour lui en premier, de respecter la loi. Cependant, l'essentiel de sa motivation était ailleurs. En voici l’explication.

Edvy* et Djbril* sont entrés sur le territoire français clandestinement. Ce sont des « migrants », terme utilisé désormais, pour dépouiller la matérialité des faits qui en procèdent de leur nature délictuelle.

Mais attention ! N'en déplaisent à ceux qui instrumentalisent le phénomène migratoire (2), Edvy* et Djbril* ne sont pas venus en France pour profiter des prestations sociales. Au contraire. Ils y sont venus pour travailler. C'est le seul « assistanat » qu'ils demandent.

Sans doute l'avez-vous deviné, c'est avant tout afin que Edvy* et Djbril* puissent se voir délivrer des papiers officiels, qu'il les a engagés officiellement. Alors, là, on peut dire bravo ! Doublement bravo, même, car grâce à cela, c'est chose faite : leurs papiers, ils les ont obtenus.

Ils vont donc pouvoir avoir le plaisir d'être en mesure de les présenter à la police, la prochaine fois qu'ils se feront contrôler.

Blague à part, j'aimerais terminer cet épisode en vous parlant un peu de comptabilité.

Rassurez-vous, je ne vous parlerai pas chiffres, ni moins encore - Oh la la ! - du plan comptable : mon échec cuisant au baccalauréat G2 (comptabilité) m'ayant laissé des souvenirs très douloureux, j'ai fait le choix de l'oublier. De ne garder en mémoire que le seul numéro de compte que j'adorais, le « 1609 » : « bénéfice net avant impôt » (la numérotation et la structure du plan ont changé depuis).

C'est de la comptable de « Chez Papa 13 » dont je vais vous parler, Samia* : le quatrième membre de l'équipe.

Elle le mérite pleinement parce qu'elle me permet d'ajouter, à propos de cette équipe, qu'en dépit du fait que les quatre membres qui la composent ne sont pas tous sur le même arbre généalogique, ils sont tous du même bois : ils forment une famille.

Car, voyez-vous, Samia* est une véritable artiste. Une artiste authentique, déjà : c'est dans le domaine artistique qu'elle officie au principal professionnellement (chanteuse et prof de danse).

Et Samia* excelle également dans cet Art, ô combien délicat et difficile, de s'occuper de la paperasse sans devoir immanquablement s'arracher les cheveux. AaaAAAH !

Parce que, purée, si vous saviez - et ceux qui sont de la partie le savent -, il y en a de la paperasse, des documents à établir, remplir, imprimer, poster et Cie quand on est gérant d'un restaurant. Sans parler, donc, « d'heureux chefs » (3), de la comptabilité.

Or, c'est « Chez Papa 13 », c'est Samia* qui s'occupe de tout ça. Et ceci sans jamais que cela lui ôte le sourire, n'entame son élan : la bonne humeur communicative qu'elle a. Un vrai bonheur !

Samia* est la cousine d'Eddine. Elle fait ça gratuitement, c'est pour lui éviter cette corvée. (4)

« Sinon, il y a non-assistance à personne en danger », dit-il, à la fois goguenard et soulagé, tellement, c'est vrai, la paperasse et la comptabilité le mettent mal à l'aise physiologiquement.

Voilà. Bravo à tous. Et si vous le permettez, en hommage à Joël Robuchon, chef étoilé, présentateur de l'émission télé culinaire éponyme, qui terminait chaque numéro de celle-ci, avec cette formule tous les jours au menu, je vais faire de même pour celui-ci : « Et bon appétit bien sûr ! »

 

* les prénoms ont été changés.

(1)  « Chez Papa 13 » est la franchise de la chaîne de restaurants « Chez Papa » qui réunit 13 établissements, tous situés en région parisienne.

Pour y avoir mangé plusieurs fois, je peux vous assurer qu'en ce qui concerne spécifiquement « Chez Papa 13 », le cadre, l'accueil, et la qualité et la substantialité des plats sont en conformité avec les affirmations qui sont données à ce sujet, qui figurent dans la présentation de la franchise, présentation que vous trouverez sur le site internet de la franchise :« Dans un cadre chaleureux et familial, vous pouvez déguster des plats généreux et bien garnis. »

(2) à juste titre ou pas, ça, je vous en laisse juge.

(3) à la place de « derechef », la bonne orthographe, en référence à Edvy* et Djbril*

(4) gratuitement en pécuniaire, mais avec l'avantage en nature non-négligeable d'avoir table ouverte « Chez Papa 13 » : « Miam-Miam ! » Et avec en bonus, que le moins que l'on puisse dire à ce sujet, c'est que les « produits du Sud-Ouest » (spécialités de la franchise) lui réussissent magnifiquement. Comme quoi on peut manger riche et pas cher, sans avoir à craindre pour sa ligne : il suffit pour ça de ne pas abuser des bonnes choses. Malheureusement pour moi, c'est comme ça. (5)

(5) là c'est le gourmand qui parle. Le Gourmet, lui, se permet d'ajouter ici ceci. Un avis personnel, en guise de nota béné, à propos de ce restaurant familial : « Le top du goût au moindre coût ! »

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