Chômage : ce que l'on oublie de dire quand on compare les chiffres de la France et de l'Allemagne
En cette période électorale mouvementée, il n'est pas rare que certains candidats fassent référence à des réussites étrangères et notamment européennes. Au premier rang de celles-ci figure le cas de l'Allemagne. Sachant que le chômage de masse est incontestablement un handicap français et une épreuve pour les plus de six millions de personnes directement concernées, certains élus se jettent au visage le chiffre du chômage allemand (4,7%) en comparaison du score français (9,8%). Evidemment, du simple au double cela pose question et interpelle le fonctionnement du marché du travail français où près de 500.000 offres d'emploi restent sans preneur.
L'Hexagone a un chômage structurel issu de la faiblesse des carnets de commandes et de l'employabilité dégradée de nombreuses personnes faute d'avoir pu trouver une formation qualifiante appropriée. Nous avons aussi un chômage frictionnel car l'offre et la demande de travail ont du mal à s'identifier mutuellement et donc à se rencontrer in concreto. Sur ce point l'Allemagne est effectivement un pays plus efficient. Toutefois, comparaison n'est pas raison car il existe des paramètres qui faussent les raisonnements hâtifs.
D'évidence, l'évolution de la population active est un paramètre-clef. Sur ce point, le dynamisme français l'emporte sur le vieillissement tendanciel que l'on relève Outre-Rhin. De 1990 à 2014, la population active allemande est passée de 37,3 à 42,2 millions de personnes (+11,5%). En France métropolitaine, la population active est passée de 25,9 millions en 1990 à 30,2 en 2014 soit une progression de 16,6% d'après les données de la Banque mondiale confirment ce point. Rapportés au ratio population active sur population totale, cela signifie que l'Allemagne connaîtrait un taux de chômage nettement plus élevé si elle avait le même nombre d'arrivées de primo-accédants sur le marché du travail.
D'après Eurostat, sur l'intervalle 1991-2013, l’Allemagne est passé de 38,8 millions d’emplois (salariés et non-salariés) à 42,3. La création nette est donc de 3,38 millions soit une hausse de 8,7%.
En France, le total des emplois était de 23,2 millions en 1991 et de 26,4 millions en 2013, pour un solde de près de 3,2 millions d’emplois. Soit une progression de 13,6%, c’est-à-dire plus de 5 points au-delà de la configuration allemande.
Pour être précis, chacun gardera en mémoire que la France a augmenté de plus de 1,1 million le nombre de fonctionnaires sur les deux dernières décénnies pour aboutir au constat reconnu suivant: l'Allemagne compte 1,7 million de fonctionnaires (Etat fédéral, Länders, communes, Assurances sociales) pour 82 millions d'habitants. Notre pays compte 3,8 millions de fonctionnaires pour 66 millions d'habitants. En englobant l'ensemble des agents de la Fonction publique (n'ayant pas le statut juridique de fonctionnaire), on relève 5,4 millions d'agents en France contre 4,6 en Allemagne.
Fait d'actualité, le nouveau solde migratoire allemand va forcément modifier à la hausse le nombre de chômeurs tandis que la France du président Hollande s'est lancée dans une opération pour partie cosmétique (chômeurs en formation relevant de la catégorie D alors que l'Etat ne communique que sur la catégorie A) qui va induire des biais statistiques.
Divergence de taille entre les deux pays, la durée moyenne du chômage est de plus de 500 jours en France. Et le nombre de chômeurs de longue durée (plus de douze mois) représente 46,6% de la population totale des chômeurs en France contre 41,5% en Allemagne soit une différence de plus de 10% de la variable observée. Cela démontre le fatalisme mortifère du chômage en France. Il suffit de se rappeler que la durée moyenne de présence au chômage en Tchéquie ou en Autriche est inférieure à 26 jours. L'Allemagne a su en outre faire l'effort de mettre à niveau les anciens territoires de la RDA là où la France a un système éducatif éloigné des attentes concrètes des firmes.
Certains analystes effectuent le raisonnement suivant: si on applique à l'Allemagne la hausse de la population active française, son taux de chômage dépasserait les 11%. Cette affirmation qui court ici ou là gomme l'impact français de l'emploi public et une autre donnée qui servira de conclusion. Le taux de participation des femmes à la population active est passé de 43 à 54% en Allemagne sur la période 1990-2014. Pour la France, il est passé de 46 à 51%. Neuf points d'un côté contre cinq points dans l'Hexagone. Au final, il y a trois points d'écart (en pourcentage de la population active totale) ce qui signifie que la France aurait dû créer près de 800.000 emplois supplémentaires si les femmes représentaient 54% de sa population active.
Comme on le voit par ce dernier élément, la comparaison France Allemagne mérite d'être traitée avec précaution et loin des clichés d'autant que le phénomène des mini-jobs introduits par les lois Hartz induit, lui aussi, des biais cognitifs.
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