Immobilier : la propriété de moins en moins accessible aux jeunes actifs
"Ubérisation" de l'économie, auto-entrepreneuriat, CDD à répétition... De plus en plus d'actifs ont un emploi précaire et peinent à devenir propriétaires, malgré des revenus parfois confortables, car aux yeux du banquier le CDI reste l'indispensable sésame pour obtenir un prêt. Si plus de 85% des salariés sont en CDI, neuf embauches sur dix se font aujourd'hui en CDD et près d'un jeune sur trois est employé à durée déterminée. "De plus en plus d'actifs salariés sont en CDD et on ne sait pas les loger. Il y a un vrai problème, émergent", constate Bernard Cadeau, président des agences immobilières Orpi.
Encore aujourd'hui, "pour une banque, le Saint Graal c'est le CDI avec de l'ancienneté", dit à l'AFP Fabienne Aubigny-Laborde, directrice commerciale du site Le-Partenaire.fr. "Mais il devient de moins en moins courant: des modèles économiques émergent où chacun devient acteur de son propre emploi. Or face à cela, le monde bancaire est complètement décalé". Pour Fabrice Abraham, à la tête du réseau Guy Hoquet, "les jeunes entrent dans l'emploi vers 23 ans mais ils n'accèdent à la propriété qu'à 33 ans en moyenne, un décalage de 10 ans dû au fait que les banques ne financent pas l'achat en CDD". Si l'Etat a créé la caution Visale pour faciliter l'accès à la location aux moins de 30 ans en emploi précaire, "il faudrait l'équivalent pour l'accession à la propriété".
Pour Cécile Roquelaure, directrice du courtier Empruntis, "un changement des mentalités est en cours, mais il doit s'accélérer" car sur ce type de clients, "le risque est plus importants mais c'est l'avenir". "Aujourd'hui ceux qui parviennent à emprunter en CDD doivent surenchérir sur les garanties, avec des revenus et un apport plus conséquents que les autres". Sur quelque 32.000 demandes de financement transmises aux banques par le courtier depuis le 1er janvier, 8% intègrent au moins un emprunteur en CDD. Il s'agit à 96% de couples et à 4% d'emprunteurs seuls. Selon un banquier souhaitant rester anonyme, "dans l'inconscient collectif, être en CDD signifie ne pas pouvoir obtenir un prêt immobilier. Il y a une autocensure dès le départ chez le client".
Mme Aubigny-Laborde voit, parmi ses clients, de "plus en plus d'auto-entrepreneurs" pour qui "c'est le parcours du combattant". Quant aux intérimaires, ils n'empruntent que grâce à leur conjoint, dont les seuls revenus sont pris en compte. En outre, "les banques n'aiment ni les mono-emprunteurs modestes, ni les CDI relativement récents dans des TPE (très petites entreprises), en particulier dans le bâtiment, les prestations de services ou l'aide à la personne, où les revenus peuvent fluctuer". "Or ce sont les TPE qui embauchent le plus".
Sa cliente Patricia, 41 ans, qui cumulait un CDI à mi-temps de formatrice professionnelle et exerçait aussi en auto-entrepreneur, a vu son dossier d'emprunt de 132.000 euros refusé, malgré 15% d'apport et un taux d'endettement "parfait" de 32%. Malgré trois ans d'activité, ses revenus "free lance" n'ont pas été pris en compte. Il arrive aussi qu'un prêt accepté par la banque soit ensuite refusé par l'organisme qui doit le garantir. Il est alors possible d'hypothéquer le bien, mais cette option est plus contraignante et plus onéreuse. Car en cas de revente avant le terme du prêt - souvent contracté sur 15 ou 20 ans, alors que la durée de détention moyenne d'un bien est de 8 ans -, l'acquéreur paiera des frais de main-levée d'hypothèque, de 0,30% à 0,40% du capital restant dû.
Plus tournés vers les ménages modestes, le Crédit Foncier ou la Banque Postale réfléchissent à des systèmes alternatifs pour conforter les prêts des personnes en emploi précaire. "Cela pourrait passer par du financement participatif, le soutien d'amis. Mais notre réflexion est encore en cours", rapporte Frédérique Maufay-Coutarel, responsable crédit immobilier et consommation à la Banque Postale. Dans cet établissement, assure-t-elle, une équipe spécialement formée étudie déjà ces dossiers "avec un regard bienveillant".
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