"Ca nous a vendu du rêve" : récit des passeurs des croisières de cocaïne
"C'était des vacances payées, ça nous a vendu du rêve": jugés à Marseille, de jeunes passeurs, qui profitaient d'escales au Maroc ou au Brésil pour se scotcher de la drogue sur le corps, ont décrit le trafic auquel ils prenaient part sur des paquebots de croisière.
Sur la vingtaine de "mules" qui composent le gros des prévenus qui comparaissent devant le tribunal correctionnel, la plupart se connaissaient du quartier populaire des Moulins à Nice, ayant fréquenté la même école ou le club de foot de la cité.
"C'était connu dans le quartier, cette histoire de croisières pour aller chercher de la drogue", a rapporté une jeune femme. Jugé en son absence devant le tribunal correctionnel de Marseille, Amine, un plombier, l'avait confirmé aux enquêteurs: "Aux Moulins, on m'avait dit que ce n'était pas risqué." Ses recruteurs étaient venu à bout de ses dernières réticences. "Ils m'ont loué une voiture, donné 500 euros en me disant: +Tiens, profite!+ Comme dans un conte de fées. Je me sentais redevable, j'ai accepté."
"C'était des vacances payées, ça nous a vendu du rêve", avait avoué Nadia, serveuse dans un restaurant niçois: elle n'avait vu que "l'attrait du voyage et l'appât du gain mais pas le danger". Sollicitée par "un jeune du quartier", elle avait accepté, en mars 2013, de prendre l'avion pour Miami afin d'y embarquer sur le Costa Mediterranea à destination de Marseille.
A l'escale de Saint-Martin elle dit s'être débinée, refusant de se scotcher sur le corps des pains de cocaïne pour les remonter à bord. Harcelée, la jeune femme avait dû se racheter en acceptant une seconde croisière. "A Tanger, je devais descendre du bateau, marcher un peu", a-t-elle concédé au tribunal. "Une personne m'a abordée. Il m'a emmenée dans une sorte de résidence hôtel et m'a scotché deux plaquettes de shit sur le ventre."
- 'Le mauvais côté des choses' -
Yohann, aujourd'hui salarié d'un commerce, a fait le choix d'avouer. Face au tribunal, il déclare: "Je suis juste une mule. Je reconnais avoir transporté de la marchandise illégale sur toutes ces croisières." Mais il ne veut pas en dire beaucoup plus. "Qui vous avait recruté?" questionne le président Patrick Ardid. Le jeune homme oppose un silence poli: "Je ne veux pas avoir de problèmes." Il concède avoir "toujours des menaces pour [se] taire", mais indique ne pas savoir d'où elles viennent.
Les "mules" ayant fait le choix de reconnaître leur rôle font toutes le même récit. A Casablanca, le point de rendez-vous se situait près de la mosquée Hassan II d'où on les emmenait dans un appartement. Amine le plombier avait évoqué deux rotations lors de l'escale marocaine entre cet appartement où il avait vu "au moins une centaine de kilos de résine sur une table" et le Costa Favolosa à destination de Rio.
La drogue se présentait sous la forme d'un assemblage de cinq plaques de shit placées dans un collant. "Je prenais deux ceintures sur les abdos, deux dans le dos et une sur chacune des cuisses", avait-il rapporté soulignant qu'il avait d'abord dû se rendre au souk pour acheter des vêtements amples.
Certains prévenus font toutefois le choix de maintenir mordicus qu'il s'agissait de voyages d'agrément. Le président les pousse dans leurs retranchements: "Deux croisières l'une en décembre, l'autre en janvier, avec le vent, la pluie, les vagues... Est-ce qu'à 20 ans, on rêve de faire une croisière en plein hiver?"
Lotfi, un peintre de 25 ans, assure qu'il n'a pas transporté de stupéfiants, qu'il se trouvait à bord avec une copine en amoureux. Lorsque les questions l'embarrassent, il lâche au président: "Vous prenez le mauvais côté des choses."
Le tribunal correctionnel de Marseille s'est donné trois semaines pour juger dans ce dossier au total 34 prévenus, dont quatre sont en fuite, notamment Karim Moutakhaouil, un Niçois présenté comme co-organisateur de ce trafic aux côtés de Victor Sanches Tavares qui conteste les faits qui lui sont reprochés.
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