"Les communistes et l’Algérie" : les méandres du Parti communiste et de l'Algérie par Alain Ruscio
Les éditions La Découverte ont publié un ouvrage de l'historien Alain Ruscio qui s'intitule Les communistes et l’Algérie, Des origines à la guerre d’Indépendance 1920-1962. L'historien et enseignant Sylvain Boulouque revient pour France-Soir sur cet ouvrage, une somme qui plonge son lecteur dans les méandres de la relation qu'entretenait le PCF avec l'Algérie.
Alain Ruscio est un des meilleurs spécialistes de la colonisation, des guerres coloniales et du communisme. Il y a presque quarante ans, il a publié un ouvrage qui demeure une référence sur les communistes et la guerre d’Indochine, fruit de sa thèse d’Etat (Paris, L’Harmattan, 1985) prolongé depuis par de multiples livres sur la colonisation. Pour boucler ce cycle, il publie aujourd’hui aus éditions La Découverte, Les communistes et l’Algérie, Des origines à la guerre d’Indépendance 1920-1962.
Cette enquête au long cours revient sur le rapport complexe du PCF, qui a été il convient de le rappeler, le plus grand parti politique en nombre de militants et en influence de France des années 1940 aux années 1970. Le livre commence par une préhistoire d’un PCF alors naissant, qui dénonce le colonialisme dans les années 1920 et 1930 avec une grande virulence. La section coloniale du PCF (représentant à peine quelques dizaines de personnes en rupture avec la politique coloniale de la France) condamne l’impérialisme et appelle au soulèvement et à la sécession immédiate de l’Algérie. L’histoire du PCF est faite de ligne droite et de virage en épingle à cheveux annonçant un demi-tour ou tout du moins une embardée. L’anticolonialisme passe au second plan pour des raisons stratégiques, lors du Front populaire, le PCF change et appelle à la "formation d’une nation algérienne" en expliquant les liens avec la métropole doivent rester forts. Le parti se méfie des nationalistes algériens qu’il perçoit comme des concurrents, à l’image de Messali Hadj pionnier de l’indépendantisme mais dont le passage puis l’exclusion du PCF en fait un adversaire, comme les mouvements nationalistes qu’il anime: le Parti du peuple algérien puis le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques. L’attaque contre les nationalistes algériens est à l’origine de la distanciation avec les indépendantistes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la position communiste évolue. Le PCF dénonce la répression s’abattant sur les manifestations algériennes comme à Sétif et à Guelma. Il fonde un Parti autonome, le Parti communiste algérien (PCA) mais dont la politique demeure fortement influencée par les intérêts et la ligne du PCF en métropole.
Le 1er novembre 1954, sans être partisan du maintien de la France en Algérie, le Parti se refuse à affirmer son soutien total à l’indépendance. Ce climat de défiance se perpétue, même s’il existe des contacts entre communistes et nationalistes. Les liens avec la nouvelle génération sont plus aisés. La méconnaissance réciproque ajoutée à la défiance des appareils devient un obstacle à une collaboration poussée. Grâce à une analyse fouillée, Alain Ruscio explique les hésitations du PCF. Le Parti ne se rallie pas à la ligne officielle des nationalistes mais mène une campagne active campagne pour la paix en Algérie et de facto pour l’indépendance. En métropole, le PCF et les organisations qu’il contrôle (CGT, secours populaire, etc…) soutiennent par exemple les mouvements d’appelés et de rappelés, blocage des convois, etc. En Algérie, le soutien aux nationalistes algériens est plus concret. Certains militants communistes poussent plus loin les soutiens au FLN s’engageant dans les réseaux de soutien au FLN, comme celui de Francis Jeanson ou d’Henri Curiel.
Alain Ruscio montre bien que les membres du PCA ont directement aidé et participé aux actions du FLN, quelques affaires en sont la preuve souvent tragique (Henri Maillot, Fernand Iveton, Raymond Peschard et bien sûr Henri Alleg et Maurice Audin).
Majoritairement, les militants communistes dénoncent la guerre sans pour autant déserter, il faut, selon terme du parti "rester avec le peuple" et "faire le travail de masses" c’est-à-dire avoir une influence directe sur le contingent et les ouvriers. A partir de ces faits, l’auteur souligne la distorsion entre les espérances d’une partie de la gauche radicale plus révolutionnaire et le Parti souhaitant convaincre la majorité de la population, il explique ainsi la "mauvaise réputation du PCF". On pourrait néanmoins reprocher, comme dans une discussion jamais achevée, à l’ouvrage d’avoir privilégié la dimension sociétale du communisme, en lien avec l’implantation du PCF dans la société française et en Algérie, à sa dimension téléologique, en lien avec les buts et l’appareil international du communisme. Mais cette remarque est secondaire, Alain Ruscio montre à juste titre que le PCF a agi en étant fidèle à lui-même. Il n’a jamais défendu le système colonial et a toujours chercher à renforcer son influence pour convaincre l’opinion métropolitaine. Le PCF comme d’autres n’a pas forcément perçu l’autonomie du monde colonial face à la métropole, ce qui explique les incompréhensions et le malentendu de la politique colonial du Parti communiste fort bien démontrée dans cette riche étude.
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