« Le Deuxième Acte » : Quand l’IA fait dérailler les acteurs
Du pur Quentin Dupieux. Le chouchou des cinéphiles nous embarque dans une satire jouissive du 7ème art. Nouveau tournage prévu en janvier 2025.
Deux copains marchent en rase campagne. David (Louis Garrel) veut convaincre son ami Willy (Raphaël Quenard) de séduire Florence (Léa Seydoux), la jeune femme qui l’aime, mais qui l’insupporte. Willy se méfie. Elle est moche ? Pas du tout. Alors c’est une transgenre ? Mais non, restons sur terre. David a peur d’être « annulé » ou comme on dit aujourd’hui « cancellé » suite aux propos déplacés de son pote.
La jeune femme présente David à son père Guillaume, banquier international (Vincent Lindon) dans un resto froid et impersonnel au milieu de nulle part, curieusement appelé « Le Deuxième Acte ». Voilà pour le scénario « nul à chier ». Ce n’est pas nous qui le disons, mais Vincent Lindon !
Quentin Dupieux, le trublion du cinéma français, 50 ans, se paye le luxe de se moquer du cinéma, qui, pourtant, est son principal gagne-pain.
« Le Deuxième Acte » a été présenté hors compétition en ouverture du 77ème Festival de Cannes , puis dans les salles dès le 14 mai. Les gens du cinéma ont applaudi, le public a adoré. La presse a été élogieuse, de l’Humanité au Figaro en passant par l’incontournable Télérama. Une fois n’est pas coutume ! Mais comment expliquer une telle unanimité ?
Making-of d’un nouveau genre
Assez vite on se rend compte que l’histoire a peu d’importance. Elle est le prétexte au making-of d’un film dont on ne voit jamais le plateau de tournage. Un tout autre genre que La Nuit américaine de François Truffaut sorti en 1973 où l’on se délectait de découvrir les coulisses d’un film. Ici, il n’y en pas. C’est cela la nouveauté. L’Intelligence Artificielle s’est appropriée la création, l’écriture, la réalisation. Il n’y a pas de direction d’acteurs et c’est le gros bordel !
Un jeune assistant débarque avec son ordinateur pour indiquer aux interprètes s’ils ont bien coché les cases des règles de la production.
Le figurant qui joue à merveille le rôle du serveur (Manuel Guillot) a un trac carabiné. Sa main tremble, il verse un Bourgogne hors de prix à côté des verres. Du coup, une voix virtuelle lui annonce que son cachet sera réduit compte-tenu de sa piètre prestation. A qui se plaindre ? Va-t-il se suicider ? L’IA a remplacé scénariste, producteur, réalisateur, chef opérateur, script girl, bruiteur, monteur, traducteur …
Sur cette morne plaine se profile le septième art vampirisé par l’Intelligence Sacrificielle. Dupieux nous sert sur un plateau ce nouveau monde : seules quelques stars de première ou seconde zone (et figurants) seront recrutés pour jouer dans des navets. Pas grave les spectateurs vont se transformer en légumes avec de moins en moins de sens critique.
Démêler le vrai du faux
Quentin Dupieux (connu sous le nom de Mr. Oizo pour sa musique électronique) s’est imposé comme une référence de la comédie de l’absurde. Il a réalisé 13 long-métrages en 17 ans : Steak (2007), Le Daim (2019), Mandibules (2020), Fumer fait tousser (2022), Incroyable mais vrai (2022), Yannick (2023), Daaaaaali ! (2023) …
Dans ce 13ème opus, les acteurs sont enfermés dans un huis clos. Une situation presque théâtrale qui donne envie de voir « Le Deuxième Acte » transformé en pièce de théâtre. Ça pourrait faire un carton.
Où commence la fiction ? Ou s’arrête-t-elle ? Où débute la vraie vie des comédiens ? C’est au spectateur de démêler le vrai du faux (pas si simple) allant de surprise en surprise.
Les comédiens se rebiffent contre le script, se disputent, interrompent les scènes. Faute de metteur en scène, il est impossible de les recadrer. Ils sont livrés à eux-mêmes comme des enfants qui n’auraient pas de parents. Mais les acteurs ne sont-ils pas de grands enfants ?
Les pieds dans le plat de la bien-pensance
Dupieux met les pieds dans le plat de la bien-pensance et du politiquement correct dans ce long-métrage d’1h16. Et cela percute grave ! Tout y passe : le cinéma et ses faux-semblants, l’entre-soi, le snobisme, l’intellectualisme, les jalousies, les trahisons…
C’est drôle et l’on se bidonne. Séquences délirantes, hilarantes, voire sacrément vachardes : chacun en prend pour son grade. Le quarto d’acteurs joue d’excellents numéros d’auto-dérision.
Vincent Lindon, l’acteur écolo, coupe le monologue de Léa Seydoux pour se lamenter sur la futilité du cinéma à l’heure où la planète brûle. Il veut se retirer. Mais son agente l’appelle et lui apprend que Thomas Anderson, un grand réalisateur hollywoodien, l’a choisi. Son ego enfle et il en oublie ses convictions.
Louis Garrel, qui tient de beaux discours égalitaires, méprise ouvertement le figurant qui peine à tenir son rôle. Par ailleurs, le beau gosse s’insurge contre l’homophobie de ses camarades, un thème très présent dans le film. Les fervents partisans LGBTQ+ et du wokisme riront-ils d’eux-mêmes ?
Le mouvement #MeToo n’est pas en reste : Raphaël Quenard essaie d’embrasser Léa Seydoux dans les toilettes. Le sang coule. Elle menace de le dénoncer. Pourquoi se gênerait-elle avec pour modèle Judith Godrèche, figure de proue des dénonciations pour violences sexuelles ? Ce serait un bon petit coup de pub pour sa carrière ?
Trop roublard pour donner des leçons
Dupieux est trop roublard pour donner des leçons. A chacun de se régaler d’une réplique qui fait mouche, contredite par la scène suivante. On ne sait trop sur quel pied danser.
Le réalisateur s’amuse et nous amuse soulignant les bassesses des comédiens, mais avec une tendresse et un humour qui excluent l’hypothèse qu’il voudrait en profiter pour régler ses propres comptes. Pas assez riche, pas assez célèbre, pas assez blasé pour le moment.
Les vrais interprètes prennent visiblement énormément de plaisir à jouer les fausses stars. Vincent Lindon est irrésistible dans son rôle d’acteur qui retourne sa veste. C’est d’autant plus jubilatoire que l’on connaît ses engagements cinématographiques et personnels pour de justes causes.
Léa Seydoux, la fille à papa, bien en chair et aux joues roses, est délicieusement exaspérante. Louis Garrel et Raphaël Quenard excellent dans le ping-pong verbal. Sans oublier Manuel Guillot (le pauvre type auquel aucun acteur ne veut laisser son téléphone) qui est formidable de naturel. Il y a des castes dans le milieu du cinéma. On ne mélange pas les torchons et les serviettes.
Suspense, revirements de situations inattendus. On ne s’ennuie pas. Et puis c’est la fin du tournage. Le plan final prend la forme d’un long travelling dévoilant les rails du cinéma. Les acteurs déraillent, mais le matériel, lui, est indestructible. La star du dernier Dupieux c’est l’IA.
Notre stakhanoviste national de la comédie barrée
Quentin Dupieux est un phénomène : c’est notre stakhanoviste national de la comédie barrée. Son esprit bouillonne d’inventivité, il enchaîne film sur film, tourne plus vite que son ombre. Il a dégainé trois films en moins d’un an. « Le Deuxième Acte » est son plus gros succès en salles dépassant les 500 000 entrées.
Ses budgets sont serrés. Alors, il endosse à peu près tous les métiers : scénariste, réalisateur, chef opérateur, monteur… Ce petit génie de la débrouille a le chic pour débaucher des stars et les financements suivent. De là-haut, Jean-Pierre Mocky est assuré que la relève a été prise. Tout le gratin du cinéma veut travailler au moins une fois avec lui.
On n’arrête plus Quentin Dupieux. En janvier 2025, il va tourner en Haute-Savoie et dans le Var « L’Accident de Piano », une fable surréaliste avec Adèle Exarchopoulos. C’est l’une ses actrices fétiches avec laquelle il a déjà collaboré pour « Mandibules » et « Fumer fait tousser ». Au passage : il recherche des figurants dans ces deux régions sur le site figurants.com. Ca vous tente ? Bonne année Quentin !
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