Lynn Seymour, ballerine maître du "plastique"
CHRONIQUE — L'art, une école de la victoire : épisode 2
Certains artistes ont en « marque de fabrique » la transmission d'un concept fondamental pour notre époque : celui de la victoire.
Née dans la province d’Alberta en 1939, Lynn Seymour fait partie du cercle restreint de danseurs pour lesquels le terme « génie » n’est pas hyperbolique.
Arrivée boursière en Angleterre à l’âge de 14 ans, à l’École de danse du Sadler’s Wells, elle fait ses études auprès de Winifred Edwards, qui avait appartenu à la troupe de l’artiste légendaire qu’était Anna Pavlova (1881-1931). À 20 ans, Lynn Seymour fut nommée étoile du Ballet royal, et ce, en dépit d’un physique enveloppé difficile à faire accepter par la profession.
La notion de « plastique »
Certains grands danseurs mettront l'accent sur l’articulation et la clarté des formes académiques (attitude, arabesque…) et des pas (jeté, assemblé…), d’autres sur les formes intermédiaires ou de transition. Compte tenu de leur bâti plus rectiligne, d’une puissance d’attaque et d’une qualité musculaire supérieure, alors que l’apprentissage de base reste à peu près identique, l’articulation tend à être l’apanage des hommes et les formes intermédiaires, celui des danseuses.
Dans la profession, le terme « plastique » est utilisé pour décrire une faculté paradoxale et assez rare : celle de pouvoir tracer des formes académiques qui, tout en étant une expression unique à l'artiste, sont tellement strictes par rapport aux canons tant techniques qu’esthétiques, qu’elles se fixeront à jamais dans l’esprit du spectateur. Ces formes deviennent alors un objet de la pensée.
Notion plus difficile à cerner, les formes intermédiaires ou de transition appartiennent également à la catégorie du « plastique » ; elles sont toutefois quasiment impossibles à fixer sur un cliché photographique, raison pour laquelle un pragmatiste serait tenté de contester jusqu’à leur existence. Dans le théâtre, face à un grand danseur ne craignant pas d’explorer ce domaine, les spectateurs attentifs confirmeront, chacun à sa manière, avoir perçu des idées indéfinies, associées à une prémonition de l’éternel ou de l’infini.
Dans le monde de la danse, le critique Achim Wolyinskii (1863-1926), familier du monde grec et de la Renaissance italienne, est l'un des rares érudits à avoir tenté de rendre intelligible ce territoire à la frontière entre le visible et le conscient, l’invisible et le préconscient.
Parmi les ballerines dont nous gardons encore quelques traces sur film, trois sont des maîtres du "plastique", dans ce domaine plutôt étrange que les Allemands nomment « Unheimlich » : Galina Ulanova, Lis Jeppesen et notre sujet d’aujourd’hui, Lynn Seymour.
Dans les extraits de ballets que je vous propose de regarder, vous observerez le passage entre une forme académique auréolée d’une grande perfection, à des formes quasiment liquides, sans nom, qui semblent venir « de nulle part ». Comme sans intervention de la volonté, elles apparaissent et disparaissent comme des ectoplasmes, tout en étant chargées d'émotion. Le volume de scène semble habité tout autour de Mlle Seymour, et s’étirer au loin, non seulement dans l’espace, mais également — phénomène curieux — dans le temps. Son dos et ses bras parlent, tandis que ses mains sont des coquillages qui écoutent la mer. Toute à son partenaire, Lynn Seymour ne se regarde jamais danser, n’essaie pas de « faire joli », mais s’abandonne à la dynamique.
Le spectateur a des larmes aux yeux, mais pourquoi ? Serait-ce le livret du drame, qu’il ne connaît déjà que trop ? Ou une affirmation de l’être qu'il vaut mieux ne pas rendre triviale par un trop-plein de paroles?
Vous trouverez ci-dessous des liens vers deux des rares bribes de films qui subsistent de Lynn Seymour (elle avait près de 40 ans au moment du tournage) et notamment dans "A Month in the Country" et "Romeo & Juliet", deux ballets dont la chorégraphie a été créée pour elle et son partenaire.
Pas de Deux, Roméo et Juliette :
A Month in the Country :
Partie 1
Partie 2
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