Être homosexuel en Tchétchénie veut dire la mort ou l'exil

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Par AFP
Publié le 20 avril 2017 - 16:40
Mis à jour le 21 avril 2017 - 00:10
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Ilia a les traits tirés par la fatigue. Battu et torturé par des hommes en uniforme militaire, cet homosexuel a fui à Moscou où il vit la peur au ventre. "En Tchétchénie, j'avais le choix entre mentir ou mourir", résume-t-il.

A 20 ans, il se cache désormais dans une petite maison en briques rouges de la banlieue moscovite, qu'il partage avec cinq autres Tchétchènes ayant eux aussi quitté précipitamment la petite république musulmane du Caucase russe. Tous refusent de révéler leur véritable identité par peur d'être identifiés et traqués.

"Si un de mes proches apprend que je suis homosexuel, il n'hésitera pas une seconde à me tuer", explique à l'AFP l'un d'entre eux, Nortcho. "Et s'ils ne le font pas, alors ils se feront tuer pour ne pas avoir rétabli l'honneur de la famille".

Si la Russie montre régulièrement un visage homophobe, la question se pose avec une acuité encore plus grande en Tchétchénie, société conservatrice où l'homosexualité, considérée comme un tabou, est un crime passible de mort dans la majorité des familles.

Fin mars, une enquête du journal indépendant Novaïa Gazeta a révélé que les homosexuels sont la cible des autorités locales. Ces accusations sont d'autant plus prises au sérieux que les milices du président Ramzan Kadyrov sont accusées depuis des années d'exactions et d'enlèvements.

Selon le journal, les autorités ont arrêté plus de 100 homosexuels et incité leurs familles à les tuer pour "laver leur honneur", et au moins deux personnes ont été assassinées par leurs proches et une troisième est décédée d'actes de tortures.

Convoqué par le président russe Vladimir Poutine, M. Kadyrov a démenti toute exaction envers les homosexuels en Tchétchénie, qualifiant les articles de "provocateurs". Son porte-parole assure, lui, que les gays "n'existent pas" dans la république.

Si M. Poutine n'a pas lui même fait de commentaires, son porte-parole Dmitri Peskov a estimé que les accusations "ne se confirment pas", tout en soulignant qu'une enquête était en cours.

La parution de l'enquête a suscité également une vague d'indignation à l'étranger, dont celle de l'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, qui s'est dite lundi "troublée" par ces informations.

L'ambassadeur russe à Stockholm Viktor Tatarintsev a été convoqué au ministère suédois des Affaires étrangères à la suite "d'informations alarmantes selon lesquelles des homosexuels en Tchétchénie ont été emprisonnés et torturés", a indiqué la porte-parole du ministère à l'AFP.

- 'Sursis' -

A Moscou, la Ligue LGBT vient en aide aux Tchétchènes en fuite et reçoit "trois à quatre demandes d'aide par jour", selon Olga Baranova, responsable de l'antenne moscovite de cette ONG. Au total, près de 20 personnes en danger ont déjà été exfiltrées à Moscou, dit-elle à l'AFP.

Même s'il est à plus de 1.800 km de Grozny, Ilia continue de sursauter à chaque fois qu'une voiture s'approche de la maison. "En m'aidant, la Ligue m'a donné un sursis mais on finira par me retrouver", murmure-t-il.

En octobre, il a été emmené dans un champ et battu par trois hommes en uniforme militaire. Une immense cicatrice balafre le bas de son visage. "Ils ont tout filmé. Ils m'ont dit que ça finirait sur les réseaux sociaux si je ne payais pas 200.000 roubles (3.350 euros). Je me suis endetté et j'ai payé", raconte-t-il, la voix nouée.

Il a ensuite fui pour Moscou. "Des militaires sont venus voir ma mère et lui ont révélé que je suis homosexuel", confie Ilia. "Je suis terrifié. Je n'ai pas réussi à dormir depuis que je suis parti de Grozny".

Z. a quitté la Tchétchénie il y a deux semaines. Lui non plus ne dort plus. La peur que sa femme et leur enfant découvrent son homosexualité le hante.

En mars, il a été détenu "dans une prison non officielle" pendant une semaine. "Il y avait d'autres homosexuels dans la cellule, certains avaient été battus", se rappelle-t-il. "Quand ils m'ont relâché, j'ai compris que je devais partir au plus vite".

Pour Tania Lokchina, de l'ONG Human Rights Watch, "il suffirait d'un coup de fil du Kremlin à Ramzan Kadyrov pour que les arrestations cessent".

Officiellement, une enquête a été ouverte lundi par le Parquet général. Mais les enquêteurs disent n'avoir reçu "aucune plainte officielle" de victime, selon la déléguée russe pour les droits de l'Homme Tatiana Moskalkova.

"Imaginer que des personnes viennent témoigner sans garantie de sécurité est tout simplement impossible", s'indigne Mme Lokchina. "Les personnes LGBT, déjà extrêmement vulnérables, doivent, en plus des autorités, craindre leurs propres familles", explique-t-elle.

Pour la journaliste de Novaïa Gazeta, Irina Gordienko, menacée de mort par le Grand Mufti tchétchène après son enquête, Ramzan Kadyrov exerce en Tchétchénie une "tyrannie absolue" avec l'accord tacite du Kremlin. "C'est là le coeur du problème: l'impunité des autorités tchétchènes", conclut-elle.

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