Réforme des douanes : "On a perdu énormément d'effectifs", Magali Groussot, Secrétaire nationale CGT Douanes

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Julien Taillefer pour France-Soir
Publié le 27 juin 2023 - 19:00
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Magali Groussot - secrétaire nationale CGT Douanes
Magali Groussot, secrétaire nationale de la CGT Douanes

 

GRAND ENTRETIEN - Les députés ont adopté la semaine dernière le projet de loi visant à réformer les pouvoirs des douaniers. En fin d'année dernière, le Conseil constitutionnel avait jugé trop laconique l'article 60 du Code des douanes. Son jugement, qui censurait purement et simplement cet article fondamental du Code, mettait en péril l'action de l'institution. Entretien avec Magali Groussot, secrétaire nationale de la CGT Douanes. 
 

France-Soir. - Pourquoi le Conseil constitutionnel se préoccupe-t-il soudain du Code des douanes, 75 ans après son entrée en vigueur ? 

Magali Groussot. - Il y a déjà eu une réforme de la retenue douanière en 2015. À l'époque, la Cour européenne des droits de l'homme était à l'œuvre. Il y a vraiment une vague de fond, une volonté de garantir les droits de l'homme à la base de la réforme. C'est un équilibre à trouver. Autant ailleurs il y a des bavures tout le temps – même si je n'ai rien contre mes collègues de la police – autant en douane il n'y en a jamais. Tout fonctionnait très bien, cette remise à plat de l'article 60 n'était pas nécessaire. Mais elle ne nous surprend pas, étant donné le contexte actuel. 

Tout est parti d'un contrôle douanier qui avait duré des heures et fait dire au Conseil constitutionnel qu'il fallait encadrer les choses. Quand on sélectionne un véhicule sur la route, sur place, sur l'aire d'autoroute, on n'a pas tout l'équipement qui permet de démonter la voiture. Quand on a un doute, on amène le véhicule à la brigade, et on prend le temps de tout décortiquer. C'est vrai que ça peut prendre du temps. Jusqu'à présent, le Code des douanes disait que le contrôle pouvait durer le "temps nécessaire". On avait tout le temps de mener nos investigations, sans même avoir à prévenir qui que ce soit. Maintenant, au bout de quatre heures, il faudra qu'on informe le procureur.  

Avant 2015, quand on découvrait des marchandises, par exemple des stupéfiants sur quelqu'un, on le plaçait en retenue douanière, équivalent de la garde à vue. Nous n'avions pas d'obligation de prévenir qui que ce soit. Pour le coup, c'était un pouvoir exorbitant, puisque la personne disparaissait de la circulation sans pouvoir prévenir qui que ce soit, ni son employeur ni sa famille. Depuis 2015, dès qu'on met quelqu'un en retenue, on informe le procureur, il a le droit d'appeler un avocat, de prévenir sa famille, etc.  


Sur le plan juridique, pensiez-vous qu'il fallait un texte plus précis ? Notamment pour empêcher des interprétations à géométrie variable de la part des tribunaux ?

Un contrôle très long, c'est très rare. Mais jusqu'à maintenant il y avait un flou juridique. Quand un contrôle durait longtemps, la personne était théoriquement libre de ses mouvements. On disait qu'elle était "libre et sans contrainte".  

Dans les faits, quand vous prenez le véhicule d'une personne, on ne peut pas réellement dire qu'elle a toute sa liberté. D'autant plus qu'on ne peut pas non plus dire aux personnes : "vous êtes libre et sans contrainte, allez boire un café", puisqu'on est obligé de fouiller les biens en leur présence.  

C'est ce qu'a plaidé l'avocat, à quoi le Conseil constitutionnel a répondu qu'il fallait cadrer les choses. 
 

En somme, vous regrettez l'ancien texte de loi ? 

D'après la nouvelle loi, il y aura une bande de 40 km en deçà et au-delà de la frontière, dans laquelle l'article 60 pourra continuer à être appliqué comme avant. Les brigades les plus impactées dans leur fonctionnement sont les BSI, brigades de surveillance intérieures, qui ne travaillent pas dans ce périmètre. Depuis l'entrée dans l'Union européenne, les frontières ont été très dégarnies, énormément de postes de douane ont été supprimés, et les brigades se sont repliées vers l'intérieur. 

Le nouveau texte encadre beaucoup plus leur action, et se rapproche de ce qui existe en police et gendarmerie, où tout se fait sur réquisition du procureur. Nous allons devoir l'informer à chaque opération de contrôle. Il faudra lui indiquer en amont où on va, quelle sorte de marchandises on va chercher. C'est très contraignant et ça enlève une grande part d'initiative alors que, quand on parle de flair douanier, ce n'est pas un vain mot. Il y a réellement une part de choses senties, et certains types de contrôles n'existeront plus.  

Si une brigade décide tout de même d'aller contrôler quelque chose qui ne faisait pas partie de l'information donnée au procureur, il faudra que ce soit sur la base de raisons plausibles de soupçonner une infraction. C'est à nous de justifier et de dire pourquoi on a procédé à un contrôle, et vous pensez bien que les avocats vont nous chercher là-dessus. 

Finalement, à l'intérieur du territoire, qu'est-ce qui distinguera la douane de la police et de la gendarmerie ? 

Jusqu'à présent, nous étions les seuls à pouvoir arrêter n'importe qui, n'importe où, ouvrir son coffre et procéder à la visite de ses bagages, de sa personne, jusqu'à aller à une visite à corps, voire même l'emmener à l'hôpital pour voir s'il n'avait pas ingéré des boulettes de produits stupéfiants. On était les seuls à pouvoir le faire sans avoir à en référer à quiconque.  

Si dorénavant, on a besoin d'une réquisition pour faire ce type d'investigation, il n'y a plus grand chose qui va nous distinguer de nos collègues policiers ou gendarmes, et ça fait partie de nos inquiétudes. Le rattachement du douanier en uniforme au Ministère de l'intérieur, c'est un vieux serpent de mer, et quelque chose que l'on craint. Nous sommes rattachés au Ministère des finances. Nous n'avons rien à voir avec la police ou la gendarmerie. Ce sont des mondes complètement différents. Nous avons vraiment une identité culturelle propre.

La nouvelle loi prévoit la création d'une réserve opérationnelle des douanes, sur le modèle de ce qui existe pour les forces de l'ordre ou pour l'armée. Qu'en pensez-vous ? 

On a perdu énormément d'effectifs en très peu de temps. On est obligé de renoncer à certaines missions, tous les collègues croulent sous le travail, dans tous les services. Plutôt que de recruter des effectifs pérennes afin que tous les services puissent fonctionner confortablement, on va investir de l'argent à recruter pour des missions ponctuelles. Des gens qu'il va falloir former, alors que l'on manque déjà de formateurs.

Ces derniers ne sont pas reconnus, pas mieux payés que n'importe quel agent, en ont ras le bol de travailler plus pour gagner pareil, sans aucune considération de la hiérarchie. Si cette réserve est créée, ces mêmes collègues, qui déjà croulent sous le boulot, qui vont devoir assurer la formation des réservistes. Une formation a minima, avec tous les problèmes de sécurités potentiels qui en découlent.  

Cela relève d'un caprice de la directrice générale. Elle ne cache pas que ce soit son idée lumineuse. Ça servirait à des missions ponctuelles de contrôle de l'immigration par exemple, lors d'événements particuliers tels que les jeux olympiques qui arrivent. Nos formateurs n'en peuvent plus et demandent un peu de reconnaissance, quelle est la solution qu'on apporte en face ? C'est le recours à des gens venus de l'extérieur et qui seront payés avec de l'argent de poche. C'est méprisant pour les douaniers. 

La direction veut de la flexibilité. Mais de la main d'œuvre, on en a besoin au quotidien et toute l'année, presque dans tous les services. La création de cette réserve est une honte.

Quels sont les gros trafics, ou vos sujets d'inquiétude, actuellement ? 

On est inondés par la cocaïne, notamment de Guyane française, qui inonde non seulement mes collègues de Cayenne, mais aussi ceux de Paris. Ce sont soit des mules, soit des bateaux. On a une explosion du trafic au niveau du Havre, avec des scènes de violence inédites, qui vont parfois jusqu'au meurtre.  

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