Fuites d'eau, pigeons coincés et solitude : les appels abusifs empoisonnent le quotidien des pompiers

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Par Emmanuel DUPARCQ - Paris (AFP)
Publié le 12 février 2019 - 11:06
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Allô, les pompiers? Venez, mon hamster a fait un malaise. Chaque jour, les pompiers sont assaillis de milliers de coups de fil abusifs ou farfelus qui compliquent inutilement leurs missions de secou
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© Philippe LOPEZ / AFP
"Allô, les pompiers? Venez, mon hamster a fait un malaise". Chaque jour, les pompiers sont assaillis de milliers de coups de fil abusifs ou farfelus qui compliquent inutilement leu
© Philippe LOPEZ / AFP

"Allô, les pompiers? Venez, mon hamster a fait un malaise". Chaque jour, les pompiers sont assaillis de milliers de coups de fil abusifs ou farfelus qui compliquent inutilement leurs missions de secours d'urgence, et sur lesquels ils tentent d'"éduquer" la population.

Assise tête en arrière sur le canapé, au milieu d'un salon parisien cossu tapissé de bibelots et plantes vertes, Raymonde, 94 ans, est soulagée: moins de dix minutes après qu'elle a composé le 18 en se plaignant de "douleurs", trois pompiers sont à son chevet.

Mais très vite, les militaires de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) comprennent qu'ils sont venus pour rien : Raymonde leur avoue qu'elle était surtout "toute seule, là, comme une âme en peine". L'intervention aura mobilisé une équipe et un camion pendant une bonne heure.

Des appels comme celui-là, les pompiers en reçoivent des milliers chaque jour. Une proportion énorme: en 2017, plus d'un tiers (36%) des quelque 19 millions d'appels n'étaient pas justifiés par une urgence, selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

La proportion peut atteindre 50% à Paris, avec des "grands classiques" de gens qui appellent "pour une fuite d'eau, pour ouvrir leur porte qu'ils ont claquée avec les clés à l'intérieur, ou pour se faire transporter à l'hôpital", souligne le capitaine Valérian Fuet, un porte-parole de la BSPP.

D'autres pompiers se rappellent eux "cette mamie qui a appelé parce que son hamster faisait un malaise", ces appels pour "qu'on vienne avec un camion remplir leur piscine" ou "décoincer un pigeon pris dans une branche d'arbre".

Ou encore, il y a une dizaine de jours, celui d'un jeune couple paniqué par une blessure jugée inquiétante, qui se révélera simple égratignure: un très léger "trauma au pénis dû à une fellation", précisera le rapport d'opération. Les pompiers ne se sont pas attardés.

- "Presque rien bu" -

Sans ces appels, dont le nombre ne cesse d'augmenter, "on aurait plus de lignes et de moyens disponibles pour les vraies urgences", tels les arrêts cardiaques où chaque minute compte pour sauver une vie, souligne le colonel Marc Vermeulen, chargé de la doctrine opérationnelle à la FNSPF.

Pour sortir de ce cycle vicieux, les pompiers ont commencé à facturer ouvertures de portes ou autres enlèvements de nids de guêpe. Et à poursuivre en justice ceux qui les harcèlent trop au téléphone.

La BSPP a elle lancé mardi une campagne sur les réseaux sociaux autour du hashtag #appel18urgencevitale. Des clips vidéos y détaillent des cas - "Mon chat est coincé dans un arbre", "Je me suis entaillé le doigt en épluchant des carottes" – qui ne méritent pas un appel aux pompiers.

Mais les vieux réflexes ont la vie dure. "Quand on leur explique que ce n'est pas une urgence vitale, les gens ne comprennent pas. Certains vont jusqu'à nous dire : +Je paye des impôts, donc vous devez venir", souligne, amer, le caporal Alexis, de la BSPP.

Ce vendredi soir-là, les pompiers parisiens sont appelés porte Maillot par les amis de Pauline, 20 ans, car elle est "ingérable" et "court partout dans la rue".

Tremblante, presque hystérique, la jeune fille de bonne famille assure avoir été "droguée" à son insu et n'avoir "presque rien bu". Volontiers méprisante envers ses pompiers, elle réclame la présence de ses amis. Mais ces derniers, ni très fiers ni très solidaires, déclinent et la laissent seule dans le camion, direction l'hôpital.

"Ils auraient pu l'amener directement, ça aurait été plus vite. Dans ces cas-là, on ne sert pas à grand-chose, on nous sollicite par paresse, par facilité", regrette un peu las le chef d'équipe, le capitaine Mathieu. Il est minuit passé, il a commencé sa journée à 7h30 le matin.

Sur le chemin du retour, son équipe est appelée pour faire un détour par chez Justine, 23 ans, victime d'un inquiétant malaise et qu'il faut emmener au plus vite aux urgences. "Là on est utile, dans notre mission d'urgence", sourit le capitaine. "Et ça fait du bien".

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