Les Français plus logiques que le microcosme
Il y a quelques jours, dans son édition des 4 et 5 janvier, Le Figaro titrait à sa "une" : "Les Français ne voient pas d'issue à la crise politique". Ajoutant, dans un sous-titre en page 2 : "Les Français anticipent un nouveau premier ministre en 2025, tous partis confondus".
C'était l'enseignement principal que le quotidien parisien du matin tirait d'un sondage réalisé pour son compte par "Odoxa-Backbone", et dont il publiait les résultats.
Le même jour, dans ses pages "Opinions", le journal publiait une interview du politologue Pascal Perrineau, l'homme qui devait suggérer à Michel Barnier, éphémère Premier ministre de Macron, un mode de scrutin alternatif au pur et dur scrutin majoritaire à deux tours, pourtant l'un des piliers fondamentaux du régime de la Vᵉ République.
Le sondage fait, certes, apparaître que 86 % des Français "pensent qu'Emmanuel Macron devra nommer un nouveau premier ministre au cours de l'année 2025". Mais il révèle aussi que 65 % de nos compatriotes estiment qu'il n'est pas "attaché aux valeurs démocratiques", que 75 % considèrent qu'il ne sait pas "où il va". Et, surtout, que 61 % (presque deux Français sur trois, tout de même !) sont "favorables à la démission d'Emmanuel Macron de ses fonctions de président de la République".
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Ou bien s'agit-il d'une pure coïncidence ? Toujours est-il que, dans sa réponse à la journaliste Eugénie Bollait, M. Perrineau affirme que "la France ne gagnerait pas, dans un difficile contexte politique, social et économique, à ajouter le chaos présidentiel au chaos législatif", et qu'"une démocratie saine et stable doit respecter les échéances qui constituent la culture démocratique".
Avant de souligner qu'"une présidentielle anticipée se ferait dans la hâte puisque la Constitution prévoit que la nouvelle élection présidentielle doit se tenir vingt jours au plus tôt et trente-cinq jours au plus tard après l'ouverture de la vacance présidentielle. Un temps aussi court n'est pas approprié pour une élection présidentielle qui exige (...) une période de maturation et de réflexion longue".
Passons sur "la culture démocratique" qui s'opposerait à une démission du président de la République. Encore que l'on aimerait bien savoir ce que le professeur à Sciences Po entend par là.
Et attardons-nous un peu plus sur "la hâte" dans laquelle aurait lieu une élection présidentielle consécutive à la démission de M. Macron.
D'abord pour rappeler qu'il existe un précédent. Le 27 avril 1969, De Gaulle perd le référendum qu'il a tenu à organiser - 10 mois après des élections législatives lui donnant une majorité plus que confortable à l'Assemblée nationale - pour s'assurer que la confiance du peuple français lui était toujours acquise. Le résultat négatif entraîne sa démission immédiate. Le 15 juin 1969, au second tour de l'élection présidentielle, Georges Pompidou lui succède à l'Élysée.
La Constitution prévoit donc que l'élection présidentielle doit avoir lieu entre 20 jours et 35 jours après l'ouverture de la vacance présidentielle. Quand il estime qu'"un temps aussi court n'est pas approprié pour une élection présidentielle", le politologue fait fi des travaux du Comité consultatif constitutionnel et jette quelque peu l'opprobre sur les constituants de 1958.
Mais, d'une part le précédent de 1969 ne plaide pas en sa faveur, et l'objection qu'il n'y eut pas alors d'alternance politique au pouvoir ne paraîtrait pas pertinente ; d'autre part tous les candidats au pouvoir suprême connaissent cette règle du jeu inscrite dans notre loi fondamentale.
Quand le politologue met en avant, pour justifier sa thèse, "l'état de fractionnement des forces politiques, de déréliction du leadership et de faiblesse des projets politiques", je voudrais être certain que donner du temps supplémentaire aux forces politiques suffirait à leur permettre de se regrouper, de dégager des leaders incontestés, de nourrir des projets. Et j'ai envie de lui dire : mais que font les partis politiques ?
Tout au contraire, il est permis de penser qu'une élection présidentielle anticipée contraindrait les forces politiques en présence à s'entendre sur l'essentiel, afin que le scrutin présidentiel permette l'élection d'un Président, ou d'une Présidente, sur de grands objectifs et non plus sur un catalogue de promesses inconsidérées à toutes les clientèles, dont chacun sait - la situation financière du pays étant ce qu'elle est - qu'elles n'auraient aucune chance d'être tenues.
Rejoignant l'opinion de 61 % des Français interrogés dans le sondage précité, je ne vois pas dans une élection présidentielle anticipée un "chaos", mais au contraire une solution, et même la seule solution à la crise politique actuelle, issue de l'oubli impardonnable des grands principes de la démocratie et de la République. Quand on perd les élections, on quitte le pouvoir.
Alain Tranchant
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