Jusqu'où va la légitime défense ? Très loin en Amérique
Au cinéma, Curtis Reeves n'aime pas être dérangé. Mais de là à tuer un spectateur qui venait de lui jeter du popcorn, il y a une ligne rouge que ce policier à la retraite a pourtant franchie, nourrissant un vif débat sur la légitime défense.
Les faits se sont produits en Floride, où les parlementaires ont débattu cette semaine de l'opportunité d'élargir l'immunité offerte aux personnes ayant commis un homicide involontaire alors qu'elle se sentaient menacées.
C'est ce qu'affirme M. Reeves, qui s'appuie sur une loi très controversée en vigueur dans cet Etat républicain où les armes pullulent.
Baptisée "Stand Your Ground", cette règle autorise une personne à recourir à la force létale si elle s'estime gravement en danger, même s'il existe une autre possibilité pour elle d'échapper à ce danger, en reculant par exemple.
La Floride a été le premier Etat d'Amérique à adopter en 2005 une telle loi, avec la bénédiction du lobby des armes.
Depuis, une vingtaine d'autres Etats se sont dotés de législations similaires, contribuant à faire bondir les revendications d'autodéfense dans les affaires d'homicide.
Bien sûr, ces lois ont permis d'innocenter d'honnêtes citoyens brutalement plongés contre leur gré dans la violence. Mais elles ont aussi été utilisées par des trafiquants de drogue ou des assassins pour échapper à des poursuites.
- Bienfaits 'anecdotiques' -
"Même si la doctrine "Stand Your Ground" a permis de façon anecdotique de désamorcer des situations problématiques ou d'éviter des drames, dans l'ensemble elle ne prévient ni les vols ni les agressions violentes. A l'opposé, elle se traduit par une hausse générale des homicides, des morts et des accidents par arme à feu", explique à l'AFP Chuck MacLean, professeur de droit à l'université Indiana Tech.
Concrètement, en Floride, l'auteur d'un homicide doit prouver qu'il "croyait raisonnablement" risquer une grave atteinte corporelle au moment où il a tiré.
Des élus républicains proposent dans leur projet de loi que cette charge de la preuve soit transférée au procureur, qui se retrouverait à devoir démontrer "au-delà du doute raisonnable" que l'auteur d'un homicide est infondé à invoquer l'autodéfense.
Le démocrates s'inquiètent qu'une telle protection pousse davantage d'habitants de Floride à jouer les justiciers.
Curtis Reeves, lui, a échoué à convaincre une magistrate de la région de Tampa que son geste était couvert par la loi.
Dans sa décision rendue vendredi dernier, la juge Susan Barthle a fait part de ses "doutes considérables sur la crédibilité" du septuagénaire, qui ne devrait pas échapper à un procès.
Il faut dire que les affirmations du retraité ont été contredites par l'enquête policière.
La scène remontant à janvier 2014 a été partiellement filmée par une caméra de surveillance à l'intérieur de la salle obscure.
Alors que défilent sur le grand écran les annonces publicitaires, on voit Curtis Reeves se pencher vers son voisin assis dans la rangée devant lui, irrité que celui-ci pianote sur son smartphone.
Ce père de famille nommé Chad Oulson était à côté de sa femme et envoyait des instructions par SMS à la baby-sitter gardant leur fille âgée de 22 mois.
- Popcorn contre pistolet -
Le ton monte entre les deux hommes, Oulson finissant par jeter son sac de popcorn en direction de Reeves, qui dégaine alors son arme et touche mortellement en plein thorax la victime de 43 ans.
Ce drame a relancé le débat sur la légitime défense à géométrie variable en Amérique, deux ans après le choc causé par la mort en Floride de Trayvon Martin, un adolescent non armé abattu par un vigile.
Celui-ci, George Zimmerman, avait plaidé la légitime défense et été acquitté par un jury populaire.
Selon un rapport publié en janvier par le Journal of the American Medical Association (JAMA), la Floride a enregistré depuis la loi de 2005 une hausse des homicides de 24%.
Une autre étude de 2012 du National Bureau of Economic Research a montré que les lois "Stand Your Ground" se traduisaient par une hausse des décès par balle impliquant des victimes et des tireurs blancs.
Une explication suggérée par les auteurs est que ces législations "enhardiraient" les détenteurs d'arme à feu, qui sont aux Etats-Unis très majoritairement les Blancs.
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