Le Bataclan tourne une nouvelle page, espérant toujours recouvrer sa normalité
Le Bataclan, désormais propriété du seul groupe Lagardère, tente un nouveau départ trois ans après l'attentat jihadiste qui a fait 90 morts dans ses murs, espérant toujours redevenir une salle normale, tout en sachant qu'elle est aussi un lieu de mémoire.
C'est en toute discrétion, fin juillet, que Jules Frutos et Olivier Poubelle ont mis fin à leur histoire longue de 14 ans avec la mythique salle parisienne, en cédant leurs parts au groupe Lagardère, qui en possédait déjà 70%.
Les deux anciens codirecteurs "ont revendu les 30% de parts restantes" et ont quitté la société d'exploitation du Bataclan, selon Jérôme Langlet, président de la branche Lagardère Live Entertainment, qui en a fait l'annonce vendredi à l'AFP.
Ce dernier vient de nommer à sa direction Florence Jeux, qui occupait ces fonctions au festival des Francofolies de La Rochelle.
À quelques jours des commémorations du troisième anniversaire de la tragédie du 13 novembre qui a fait 130 morts à Paris et au Stade de France, c'est donc une nouvelle page de l'histoire du Bataclan que s'apprêtent à écrire Jérôme Langlet et Florence Jeux. L'objectif: lui redonner son pouvoir d'attraction qui le faisait rivaliser avec des salles concurrentes comme la Cigale, le Trianon, ou l'Olympia.
La tâche n'est pas aisée car la salle peine depuis deux ans à remplir sa grille de programmation. "Un peu plus de 70 concerts ont été programmés en 2018. C'est encore faible", convient M. Langlet.
Beaucoup d'artistes hésitent encore à se produire au Bataclan, quand certains autres s'y refusent catégoriquement, tels Francis Cabrel qui s'y sent "incapable", Nicola Sirkis, le leader d'Indochine, qui estime que ça doit rester "un lieu de respect et de mémoire, un sanctuaire ou un monument", ou encore Pierre Guénard du groupe Radio Elvis, qui ne pourrait "pas chanter là où des gens ont été mis en joue sur scène".
En revanche, le rappeur Médine avait lui bien prévu d'y donner deux concerts mi octobre. Mais une vive polémique l'a contraint d'annuler sa venue.
- Artistes hésitants, public présent -
En cause: certaines de ses anciennes chansons comme "Jihad" ou "Don't Laïk", considérées comme allant dans le sens des thèses jihadistes. Dans le deuxième morceau, sorti en janvier 2015 une semaine avant l'attentat de Charlie Hebdo, Médine s'attaquait à la laïcité avec des punchlines comme "Crucifions les laïcards comme à Golgotha" ou encore "je scie l'arbre de leur laïcité avant qu'on le mette en terre".
Des avocats de victimes ont demandé au préfet de Paris de faire interdire le concert, quand des responsables politiques de droite et d'extrême droite contestaient sa programmation. Nicolas Dupont-Aignan avait twitté: "Français, battons-nous pour que Médine ne salisse pas la mémoire de nos morts", Laurent Wauquiez s'était indigné: "Sacrilège pour les victimes, déshonneur pour la France".
S'est alors de nouveau posée la question du statut du Bataclan: salle de spectacle comme les autres ou à l'inverse, sanctuaire?
"Mais on aurait dû se la poser avant la réouverture", considère Emmanuel Domenach, rescapé de l'attentat du Bataclan.
"À partir du moment où le Bataclan a rouvert, on ne peut pas interdire les concerts qui s'y produisent. On crée une censure fondée sur rien, sinon sur l'émotion et la médiatisation de certains débats. Personne ne s'est posé la même question pour le Stade de France, où des matches de foot se sont joués très vite après les attentats, et pour les terrasses", argue-t-il.
"Chez les victimes du 13 novembre, tous les âges, toutes les opinions politiques sont représentées. Donc appeler à la censure en leur nom n'a aucun sens. Certains se servent de la mémoire des victimes pour légitimer des idées nauséabondes", ajoute Emmanuel Domenach pour qui "la polémique autour de Médine risque d'en appeler d'autres, tant qu'on n'aura pas réglé le problème du statut du Bataclan".
Pour Florence Jeux, qui prendra ses fonctions en décembre, l'objectif va être de faire reparler du Bataclan en termes artistiques. "Je me sens investie d'une réelle mission qui dépasse le simple cadre de la musique", convient-elle.
En attendant, pour la trentaine de spectacles déjà programmés d'ici au printemps, "le public répond très présent", se félicite Jérôme Langlet.
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