Les zones d'ombre persistantes de l'affaire Sarah Halimi, femme juive défenestrée

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Par AFP
Publié le 16 juin 2017 - 14:28
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Le meurtre de Sarah Halimi a soulevé une vive émotion dans la communauté juive
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© KENZO TRIBOUILLARD / AFP/Archives
Le meurtre de Sarah Halimi a soulevé une vive émotion dans la communauté juive
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La haine antisémite a-t-elle été le moteur du meurtre barbare d'une femme juive défenestrée par un jeune musulman, début avril à Paris? L'homme, hospitalisé d'office, n'a toujours pas été entendu dans cette affaire marquée, accusent des intellectuels, par un "déni du réel".

Le drame, d'une rare violence selon les témoignages recueillis par les enquêteurs et dont l'AFP a eu connaissance, s'est déroulé dans la nuit du 3 au 4 avril, au troisième étage d'un immeuble HLM de la rue de Vaucouleurs (XIe arrondissement) à Belleville, quartier populaire dans l'est de la capitale.

Vers 04H30, le suspect, qui habite avec sa famille au deuxième étage, s'introduit par le balcon chez sa voisine du dessus, ancienne directrice d'une crèche juive. A mains nues, il assène de multiples coups à la retraitée de 65 ans qu'il traîne sur le balcon en la couvrant d'insultes. Les voisins entendent le jeune homme crier à plusieurs reprises "Allah akbar" et réciter des versets du Coran. Après un acharnement qualifié de "bestial" par un témoin, la femme est précipitée dans la cour par dessus la rambarde, vers 04H40.

Lucie Attal, aussi appelée Sarah Halimi - nom de son ancien époux -, meurt dans cette chute d'une dizaine de mètres. Son visage, tuméfié, est à peine identifiable. "J'ai tué le sheitan" (le démon en arabe), hurle le jeune homme.

Kobili T., 27 ans, Français d'origine malienne, connu de la police pour du petit trafic de drogue et plusieurs faits de vol ou de violences, est interpellé 45 mn plus tard dans l'appartement voisin, celui d'une autre famille franco-malienne qui s'était barricadée dans une chambre en prévenant la police.

- Extrême confusion -

Mais sa garde à vue tourne court: confus, en rébellion, il est interné d'office. Toujours hospitalisé, il n'a pu être entendu ni par les policiers saisis de l'enquête de flagrance, ni par la juge d'instruction chargée de l'information judiciaire ouverte le 14 avril pour "séquestration et homicide volontaire".

Le meurtre de Sarah Halimi, un nom qui réveille le terrible souvenir de l'assassinat antisémite d'Ilan Halimi par le "gang des barbares" en 2006, a suscité une vive émotion dans la communauté juive. Une marche blanche a rassemblé un millier de personnes dès le dimanche suivant les faits.

Les responsables des institutions communautaires ont rapidement obtenu une rencontre avec le procureur de la République François Molins. Fait exceptionnel, le Conseil représentatif des institutions juives (Crif) et le Consistoire ont dit leur intention de se porter partie civile.

Mais cette constitution n'est recevable que si la circonstance aggravante de l'antisémitisme est visée par l'enquête, ce qui n'est pas le cas même si cette piste fait toujours l'objet d'investigations, selon des sources concordantes.

"Tout laisse penser, dans ce crime, que le déni du réel a encore frappé", ont accusé dans une tribune une quinzaine de personnalités, dont les philosophes Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Marcel Gauchet et Michel Onfray, ciblant implicitement la persistance d'un antisémitisme des quartiers, sous l'effet d'un islam identitaire.

D'autres voix nuancent le propos. "On ne peut pas à la fois reconnaître que l'Etat s'est engagé pleinement à travers le plan national de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et suspecter les uns ou les autres de ne pas vouloir reconnaître un acte antisémite", confie à l'AFP le grand rabbin de France, Haïm Korsia.

Le chef religieux ne relaye pas les reproches adressés à la police, accusée d'avoir tardé à intervenir dans l'attente de renforts, en pleine nuit, à l'intérieur d'une résidence vaste, à l'agencement complexe.

- Délire islamiste? -

Kobili T. a-t-il sciemment tué sa voisine parce qu'elle était juive? La croisant depuis plus de vingt ans dans l'immeuble, il n'ignorait probablement pas sa confession: Sarah Halimi était coiffée de la perruque des juives orthodoxes et une mezouzah (objet cultuel) était apposée sur le linteau droit de la porte de son appartement, où elle recevait sa famille lors des fêtes juives, comme l'atteste le voisinage.

Un seul témoin, le gendre de la victime, rapporte un propos antisémite: un "Sale juive" lancé à la fille de Sarah Halimi et attribué à une soeur de Kobili T. La famille du suspect, elle, réfute tout antisémitisme, et les habitants assurent qu'il n'y a aucune tension au sein de cette résidence à la population métissée.

Pour l'avocat du jeune homme, Me Thomas Bidnic, "il y a une très forte probabilité d'abolition de son discernement, donc d'irresponsabilité pénale". A contrario, selon le conseil de la soeur de la victime, Me Gilles-William Goldnadel, Kobili T. "a le profil d'un islamiste en voie de radicalisation. La psychiatrie, c'est secondaire".

Le jeune homme, très étrange et agité depuis l'avant-veille selon ses proches qui le croyaient "marabouté", n'avait pas la réputation d'un homme pieux. Un ami l'avait accompagné à la mosquée la plus proche, celle de la rue Jean-Pierre Timbaud, quelques heures avant le meurtre. Mais c'était, selon ce témoin, pour l'apaiser par la prière et le défaire de son obsession du démon.

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