Ballon chinois : pourquoi la version américaine d'un "ballon espion" n'est pas crédible

Auteur(s)
Jean-François Geneste, pour FranceSoir
Publié le 07 février 2023 - 17:50
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Ballon chinois
Crédits
KANAME MUTO / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun via AFP
Le ballon chinois, abattu par l'armée américaine au large de la côte est des États-Unis.
KANAME MUTO / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun via AFP

TRIBUNE - Ma légitimité autour de cette question est liée à mon travail technique pendant des années. Ma société, World Advance Research Project Agency (WARPA), mène des projets actuels dans la stratosphère (qui est la couche supérieure de l’atmosphère, qui se situe entre 12 et 50 km d’altitude).

J’ai été horrifié par ce que j’ai pu entendre dans les différents médias traditionnels à propos de ce malheureux ballon chinois, présenté comme un outil d’espionnage qui serait guidé et aurait survolé, intentionnellement, certains sites américains sensibles. Que voit-on exactement sur les images diffusées ? Une sphère ! Sans vouloir faire de grandes mathématiques, rappelons que la traînée d’un corps qui va à la vitesse ν dans l’air est donnée par la formule :

T = 1/2 ρSν2Cx

Où ρ est la densité de l’air, S = V 2/3 pour un dirigeable, V étant son volume, et Cx est le coefficient de traînée ,qui est caractéristique de la forme, exactement comme une voiture. Or, pour une sphère, on a Cx= 0,5 alors que pour un aspect de type cigare, on a Cx = 0,017 soit 30 fois moins à conditions égales ! Suggérer, dans ces conditions, que le ballon pourrait avoir été conçu pour un quelconque espionnage, c’est non seulement nous prendre pour des idiots, mais les Chinois aussi. 

Ce n’est pas tout ! En cette saison, à 20 km d’altitude et à 45° de latitude nord, les vents moyens sont de l’ordre de 30 m/s, soit environ 100 km/h. Il faut savoir que la puissance nécessaire ainsi que l’énergie à emmagasiner croissent comme le cube de la vitesse. Ainsi, entre contrer une vélocité de souffle à 20 m/s et une à 30 m/s, le besoin est multiplié par 3,38. À l’inverse, les vents au mois de mai sont quasi nuls. Si la Chine avait donc eu de mauvaises intentions, elle n’aurait sûrement pas choisi le mois de février ! 

Au demeurant, les technologies actuelles, mettent les candidats pour de tels types d’engins à un maximum de capacité de 20 m/s. Avec du disruptif, tout en restant orthodoxe, on peut espérer atteindre 25 m/s, au-delà, il faut avoir d’autres idées… Nous voyons que la Chine, qui demeure avant tout un pays scientifiquement conservateur, n’aurait, encore une fois, pas sélectionné février pour une pareille tentative. 

Continuons en regardant à nouveau les images qui ont été diffusées. Pour avancer, une hélice est nécessaire. À une telle altitude, la pression atmosphérique est d’environ 45 hPa. C’est très faible en comparaison des 1000 hPa que nous avons au niveau de la mer. Cela implique, pour se mouvoir, un brassage par le propulseur d’un important volume d’air compte tenu des vents forts et donc de très grandes hélices… que nous n’avons pas vues ! Là encore, on nous a raconté une fable ! Le ballon n’était pas ou peu motorisé, sinon à la marge pour du contrôle local et minimal nécessaire, mais sûrement pas pour atteindre les États-Unis depuis la Chine. 

Tant que nous y sommes, demandons-nous, puisqu’il était censé espionner, comment et par quels moyens les informations ont été renvoyées en Chine. Par satellite ? Géostationnaire en position orbitale en vision des États-Unis ? Pas très crédible ! Et, de toute façon, les Américains, eux, savent très bien s’il y a eu des émissions depuis l'engin, dans quelle direction et avec quelle intensité. Ce qu’il est important de garder à l’esprit, c’est qu’il faut impérativement des relais, les communications directes entre le ballon et son propriétaire étant compliquées au vu des distances. Bizarrement, aucune information n’a été donnée à ce sujet. 

Les Américains ont finalement, et comme à leur habitude, joué les fiers-à-bras, en tirant sur la cible et la faisant tomber. Il n’y a là aucun exploit, mais plutôt un arbre qui cache la forêt et leurre le spectateur. En effet, si on surveille de manière opérante son espace aérien, on descend l’intrus avant qu’il ne rentre et on évite de jouer les vierges effarouchées une fois que l’engin a traversé son territoire et survolé ses sites sensibles. C’est dès lors une double faute qui a été camouflée ici : celle du Canada qui n’a pas fait son travail et celle des Américains. Pour les premiers, la réaction de Trudeau a été pathétique, comme à l’habitude et ce pays de 30 millions d’habitants, trop peu peuplé, n’a probablement pas les moyens de réellement veiller efficacement sur son domaine. Avis donc aux Russes et aux Chinois si un jour, ils envisageaient de déclencher un conflit. Pour les Américains, ils n’avaient sûrement jamais projeté qu’une attaque pourrait venir du Canada. Voilà qui devrait les faire réfléchir. Non que le Canada, vassal colonisé et sous contrôle, pourrait songer à s’émanciper un jour, mais tout simplement parce qu’il est une passoire stratégique par manque de ressources, humaines notamment. 

Il nous reste, sur cette affaire, à traiter l’aspect de la violation de l'espace américain par les Chinois. Cela dépend de la hauteur atteinte par le ballon. En gros, entre zéro et 18 km, le ciel est national. Au-dessus, en aucun cas. Or, nous n’avons pas eu de précision sur l’altitude exacte de vol. Gageons que les États-Unis ne sont pas les seuls à le savoir. Nous avons soi-disant des satellites capables de voir monter le niveau des mers de 3 mm par an, ils ont bien dû pouvoir mesurer là où était l’intrus ! Mais ce sera sûrement classifié, comme cela la diplomatie pourra continuer à se rouler par terre ou se taire comme ce fut le cas lors de la destruction des gazoducs Nord Stream. 

Maintenant, cette affaire met en lumière une question sous-jacente et très politique qui est la volonté de certains acteurs de réguler les altitudes entre 18 et 160 km, en s’inspirant du droit de la mer. Je reviendrai dans un futur article sur ce sujet en commentant les propositions faites en détail. Big Brother cherche toujours à gagner du terrain. Mais nous aurions été déçus, n’est-ce pas, s’il n’en avait pas été ainsi. 

En attendant, éteignez vos postes de télévision, ce qu’on vous y raconte n’est que sornettes. Preuve en a ici été donnée. Quant aux “officiers” de plateaux sur les médias traditionnels, c’est-à-dire ceux qui y officient, y compris ceux qui sont militaires, leur ignorance crasse ne saurait vous informer de quoi que ce soit, et ne pourrait que vous induire en erreur. 

 

Jean-François Geneste est ancien directeur scientifique d'Airbus Group et PDG actuel de WARPA.

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