Jésus avant le Christ : l’histoire avant la légende

Auteur(s)
Christophe Lemardelé
Publié le 27 décembre 2020 - 13:08
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Crèche de Noël
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Jésus est né en Provence...
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TRIBUNE

Comme l’a rappelé Philippe Simonnot, malgré les récits des évangélistes Matthieu et Luc, Jésus n’est pas né à Bethléem mais bien à Nazareth, donc non en Judée mais en Galilée. La volonté des deux « auteurs » était en effet d’en faire un descendant de David. Le roi historique de Jérusalem – mais mythique d’Israël – a d’ailleurs lui-même une origine contestable car la Bible hébraïque (Ancien Testament) dit de lui qu’il était de Bethléem, en Judée, tout en étant un homme de la tribu d’Éphraïm. Il aurait donc été du Nord, dans le but d’en faire un authentique roi d’Israël et non du seul petit royaume de Juda au xe siècle avant notre ère. Pour autant, sont-ce des Fake news ?

Avec David, nous sommes confrontés à l’édification idéologique d’une histoire qui justifie l’appellation « Israël » pour le royaume de Juda avec pour capitale Jérusalem. Une fois Samarie et son royaume détruits par les Assyriens en 722 av. n.è, le nom d’Israël pouvait être revendiqué par le royaume moins prestigieux au sud. C’est ainsi que fut forgé le concept de royaume unifié avec David puis Salomon comme souverains prestigieux d’un ensemble vaste mais en grande partie fictif. L’archéologue Israël Finkelstein a déconstruit cette « Fake history » dans ses ouvrages se fondant sur ses fouilles et la « méta-analyse » d’autres études ainsi que sur ses « observationnelles » dites d’archéologie de surface.

En ce qui concerne Jésus, il s’agit plus simplement d’hagiographie. À partir du moment où le mouvement chrétien s’installait dans le temps, il devenait tentant de raconter la vie du saint comme on brossait des récits héroïques auparavant. Dans des sociétés guerrières antiques, vous rencontrez des mythes, qu’il s’agisse de Gilgamesh, d’Héraclès ou de Samson. Dans des sociétés où le religieux devient autonome, le récit mythique se transpose dans ce domaine. Au début, les premiers chrétiens attendent une fin des temps imminente, raison pour laquelle Paul, premier auteur chrétien, n’évoque jamais la vie de Jésus. Cette fin tardant quelque peu, le récit de vie survient et, rapidement, devient plus légendaire qu’historique.

Longtemps j’ai laissé Jésus hors de mes recherches sur le judaïsme ancien, ne l’abordant dans ma thèse sur le rite de nazir que pour discuter et infirmer tout rapprochement de ce terme avec celui de « nazôréen » qui lui est attribué d’ailleurs après sa mort. Il y a un an, je me suis décidé à écrire un petit texte sur le personnage car je souhaitais produire une réflexion et une narration qui avaient humblement pour modèle Le Royaume d’Emmanuel Carrère, ouvrage consacré à Saint Paul et au livre des Actes des apôtres. Bien m’en a pris car j’ai pu ainsi établir un plan de recherche que je vais bientôt investir. Entre le Jésus-Christ des théologiens et le Jésus inventé de toutes pièces pour des anticléricaux, il y a moyen de faire de l’histoire, à condition de hiérarchiser les sources.

La première erreur des historiens, qui sont pour la plupart tous issus d’une confession ou d’une autre, est de mettre à plat les évangiles. Il y a si peu d’éléments fiables sur Jésus qu’on est tenté de les prendre tous afin de les discuter. Or, les trois premiers évangiles sont dits synoptiques, ce qui signifie qu’ils ont tous le même schéma narratif. En fait, Matthieu et Luc se sont fondés sur Marc pour établir leur récit. Quant à Jean, il est le moins ancien des quatre évangiles et tend clairement vers l’hagiographie. La seconde erreur est d’accorder du crédit aux deux récits sur la naissance et l’enfance de Jésus dans Matthieu et Luc car ce sont des reconstructions factices. Les récits de conception et de naissance dans Luc, qui concernent Jésus mais aussi Jean-Baptiste, sont des reprises de la Bible hébraïque concernant le prophète Samuel et le héros Samson : l’évangéliste a plagié sans scrupule.

Dans mon petit livre Ma Vie de Jésus, titre qui fait référence au célèbre écrit d’Ernest Renan, je me suis donc avant tout fondé sur l’évangile de Marc pour l’histoire de Jésus et sur les écrits historiographiques de Flavius Josèphe de la fin du premier siècle afin de donner au lecteur accès au contexte de la Palestine romaine. Deux aspects sont importants pour tout lecteur qui s’intéresse à Jésus : 1) Jésus n’est vraiment pas un cas isolé tant il y a de prophètes, devins, leaders charismatiques, millénaristes en Judée ; certains sauvent leur vie, d’autres, la plupart, sont massacrés par les Romains ou, comme Jean-Baptiste, exécuté par un des fils du roi Hérode en Pérée (lire « Hérodias » de Flaubert dans ses Trois Contes) ; 2) l’évangile de Marc est un écrit composite dans lequel on peut remarquer au moins deux strates rédactionnelles ; la strate la plus ancienne donne à voir un Jésus plus singulier, plus humain, que le Christ à venir.

Pour ne prendre qu’un exemple, aspect recueillant le consensus, la conclusion de cet évangile a été prolongée. Dans le récit originel, la résurrection est évoquée sans être soulignée. Les versets 9 à 20 du dernier chapitre ont été ajoutés pour faire d’un simple récit de vie un écrit à visée théologique. Dans l’ensemble du récit, on remarque aussi l’ajout de quelques lieux communs issus de l’Ancien Testament – séjour au désert comme Moïse, les douze apôtres à l’image des douze tribus d’Israël – et des citations entières issues de textes prophétiques. À l’évidence, le récit a été enrichi et la mémoire que l’on pouvait garder des actions de Jésus s’est vue recouverte par des éléments théologiques ou hagiographiques qu’il importe de ne pas considérer comme étant historiques. C’est le cas peut-être aussi pour le lien entre Jean-Baptiste et Jésus…

En effet, rien à part l’évangile ne permet d’être sûr du baptême de Jésus par Jean. Flavius Josèphe atteste avec certitude l’existence du second – la notice sur Jésus étant discutée par les historiens – sans en faire un personnage qui en annoncerait un autre. Et dans le récit évangélique, Jésus ne quitte pas sa Galilée natale dans un premier temps. Surtout, Jésus ne baptise pas, il guérit et exorcise. Il est assez amusant d’ailleurs de remarquer que le christianisme a fondé en partie ses conversions sur un rite que jamais son fondateur n’a pratiqué, reléguant en marge les pratiques réputées douteuses… Il semble que la référence à Jean-Baptiste ne servit qu’à mieux légitimer Jésus comme Messie puisque ce prophète annonçait sa venue. C’est toujours le même processus !

Enfin, il me faut dire que l’accès à ce premier Jésus dans un proto-évangile de Marc, que je compte bien mieux déterminer textuellement, nous donne à voir un personnage étonnant quant à ses relations aux hommes, aux femmes et aux enfants. Dans une société très patriarcale, où tout homme est d’abord défini par son ascendance patrilinéaire, Jésus semble sans père légitime et, de ce fait, est marginalisé dans cette société : sans épouse et sans descendance. C’est peut-être la raison pour laquelle il se montre quelque peu « féministe ». Mais les auteurs chrétiens succédant à « Marc » se chargeront de lui donner un père, Joseph, et, progressivement, accentueront les portraits à charge de personnages féminins comme celui de Marie de Magdala.

Christophe Lemardelé est historien des religions, auteur des Cheveux du Nazir, d’Archéologie de la Bible hébraïque et de Ma Vie de Jésus.

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