Macron et McKinsey : du renvoi d’ascenseur dans les institutions de la République

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Marcel-M. MONIN, pour FranceSoir
Publié le 09 avril 2022 - 16:45
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Macron McKinsey
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Emmanuel Macron prend le volant pour jouer les partitions McKinsey... ou l'inverse ?
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TRIBUNE — On vient d’apprendre qu’une plainte a été déposée auprès du parquet financier pour corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts (et peut-être visant d'autres infractions). Ce qui présente évidemment plus d’intérêt que les bavardages des médias sur la banale affaire fiscale de McKinsey. Et bien plus que les déclarations du président de la République sur l'application à l'avenir de la loi, dont les citoyens auraient souhaité qu'elle eût déjà été appliquée.

Lire aussi : L'affaire McKinsey est-elle un scandale d'État ?

Intérêt, parce que si une information est ouverte contre un « responsable » de McKinsey, si l’un d’entre eux est mis en examen, voire condamné, c’est le sort d’Emmanuel Macron ou celui d’autres personnes du « côté » de l’État qui sont ipso facto possiblement scellés. Parce que les infractions qui font l’objet de la plainte sont des infractions qui se commettent à deux. Par exemple, dans la corruption, on a généralement un corrupteur et un corrompu.

Que la firme McKinsey n’ait pas payé d’impôts en France…  Ça n’est contesté par personne. Qu’on essaie maintenant, puisqu’on a quand même fini par l’apprendre, de faire des redressements fiscaux et d’étudier, avec le parquet national financier, si la firme en question ou ses dirigeants ont commis des infractions pénales, sont des questions très secondaires sous un certain rapport. Sauf, peut-être, la question de savoir comment l’État, qui verse de l’argent à une société, ne se rend pas compte (via ses services), et ce pendant si longtemps, qu’une partie de cet argent ne rentre pas dans ses caisses sous forme d’impôts.

La vraie question est celle des infractions pénales, pouvant avoir été commises par les auteurs et les bénéficiaires, de ce qui ressemble à un beau renvoi d’ascenseur. Dans une première phase, des collaborateurs de McKinsey travaillent gratuitement pour le candidat Macron. Lequel, devenu président de la République, via les procédures officielles, passe ou fait passer ensuite des contrats avec McKinsey. Firme qui va alors gagner beaucoup d’argent en accomplissant des tâches dont chacun attendait qu’elles fussent accomplies par les services de l’État, payés par les contribuables. (1)

(1) Le tout sans compter que les laboratoires Pfizer (connus aux États-Unis pour le montant des amendes acquittées pour corruption), dont les produits ont été vantés par les gouvernants français (quelque peu au-delà de leurs qualités), ont été les clients du même McKinsey, et que lesdits laboratoires ont racheté la branche nutrition de Nestlé dans une opération dont la réalisation est attribuée à M. Emmanuel Macron, du temps où il œuvrait au sein d’une banque. Ce qui peut ajouter aux interrogations diverses, en tout cas celles sur la « gouvernance » ( voir note 4), qui s’est « coulée » sans qu’on s’en rende compte, dans les dispositions de la Constitution.

Dans cette affaire, si des infractions visées par la plainte ont été commises, elles ont, d’un point de vue logique (voir ci-dessus), été commises par des personnes relevant de McKinsey et par d’autres relevant de l’État. En commençant, s’agissant de ce dernier côté, par… le président de la République lui-même. Puisque, comme on a fini par l’apprendre (2), c’est lui qui a bénéficié à titre personnel du concours de collaborateurs d’une société, laquelle a ensuite bénéficié de juteux contrats décidés ou acceptés d’une manière ou d’une autre, cette fois-ci par lui au nom de l’État.

(2) Le fait que la déclaration d’intérêt signée par M. Emmanuel Macron ne mentionne pas cette situation a provoqué, après sa découverte, une saisine du Conseil constitutionnel qui s’appuyait sur un considérant d’une décision récente de ce dernier (N° 2022-184/188 PDR du 14 mars 2022) : « En vertu de la mission générale de contrôle de la régularité de l'élection du Président de la République qui lui est conférée par l'article 58 de la Constitution, le Conseil constitutionnel peut exceptionnellement statuer sur les requêtes mettant en cause l'élection à venir, dans les cas où l'irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle de l'élection, vicierait le déroulement général des opérations électorales ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics ». La requête, traitée comme une contestation tardive de l’établissement de la liste des candidats, a été rejeté par le secrétaire général du Conseil constitutionnel.

Si M. Emmanuel Macron ne peut pas être inquiété provisoirement (*) — selon les dispositions de l’article 67 al 2 de la constitution (3), il peut techniquement l’être à terme — article 67 al 3 (4).

(3) art. 67 al 2 de la Constitution : « Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu ».
(4) art 67 al 3 de la Constitution : « Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions ».

Les questions purement juridiques que nous avons évoquées, se doublent en réalité d’un enjeu politique (5).

(5) Avec les inévitables campagnes de pression sur les juges, juges dénoncés comme instrumentalisés, mal syndiqués ou scandaleusement politisés, méconnaissant la séparation des pouvoirs ou faisant fi de la souveraineté du peuple… Juges qui, l’expérience l’apprend, et certains à leurs dépens, ne sont pas toujours sensibles à ces argumentaires.

Sera-t-il envisageable qu’un président de la République apparaisse de facto comme un « client » potentiel pour les juges de son pays ?  Qui continuerait à signer ou faire signer des contrats avec qui il voudrait ? Qui serait chef des armées et irait négocier des traités ? Qui téléphonerait aux chefs d’États étrangers pour leur faire la leçon ou même simplement pour les assurer de son obéissance ? Qui serait, comble de la farce, le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ?

Quelle rigolade pour les États étrangers ! Quel mauvais exemple donné à la classe politique !

On peut se risquer à poser plusieurs hypothèses découlant du texte même de la Constitution, si la recherche des infractions ci-dessus est lancée :  la démission ou la sortie imposée.

Il est probable que le président démissionne alors. Pour éviter pire plus tard. Ou parce qu’il y serait contraint par l’opinion publique. Ou qu’il y serait tout bonnement invité par ceux qui l’ont porté au pouvoir et qui peuvent avoir intérêt à laisser le fusible sauter dans la perspective, pour une même gouvernance, de la mise en place d’un clone, mais aux manières et à la ligne de conduite moins voyantes.

Lire aussi : La patate chaude McKinsey

À moins que les pressions ne conduisent la classe politique à se mettre de la partie, pour les mêmes raisons que ci-dessus, en faisant jouer l’article 68 (destitution), ou l’article 7 al 5 (constatation de « l’empêchement ») (*).

À suivre.

(*) Sur ces questions, voir notre commentaire de la Constitution : « Textes et documents constitutionnels depuis 1958 ». Dalloz – Armand Colin. Et lire le texte d'articles cités de la constitution sur « Legifrance ».

Marcel-M. MONIN est maître de conférences honoraire des universités.

 

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