Réduire le risque médicamenteux : le plan de François Pesty

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François Pesty pour France-Soir
Publié le 16 octobre 2023 - 14:50
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Pixabay / France-Soir
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DOSSIER - Erreurs médicamenteuses, mésusage, non-pertinence et inefficience des prescriptions, le talon d’Achille se trouve dans les logiciels métiers des professionnels de santé. Mon plan pour y remédier.

Une tribune en dix épisodes, dix propositions faisant appel au "numérique en santé", projet de loi citoyen en dix amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024.

1er épisode : Le déni politique face aux désastres causés par l’erreur médicamenteuse, le mésusage des médicaments, la non-pertinence et l’inefficience des prescriptions.

En préambule, il faut enfin reconnaître l’urgence absolue et l’impérieuse priorité en santé publique de lutter efficacement contre les fléaux de l’erreur médicamenteuse et du mésusage des médicaments, responsables de tant de victimes chez les patients comme les soignants, à l’origine de dépenses considérables et pourtant évitables pour notre système solidaire de sécurité sociale.

Est-il encore nécessaire de rappeler les chiffres terrifiants du rapport ministériel de Dominique Costagliola et Bernard Bégaud, et sa litanie des 10 000 à 30 000 morts en France chaque année liées au médicament (ici). Une mortalité trois à dix fois supérieure à celle de la route. L’équivalent d’un crash d’airbus A320 toutes les semaines… L’association Alliance Ecamet estime à 168 000 le nombre de décès annuels dans l’Union européenne (ici).

Un récent rapport de l’OCDE sur l’économie de la sécurité médicamenteuse est accablant concernant le retard de la France dans ce domaine (ici). Une tribune publiée le 24 septembre 2022 faisait le point sur cette question (ici).

Une revue de quelques publications récentes qui établissent formellement comme priorité, particulièrement à l’hôpital, la prévention des événements indésirables médicamenteux, des accidents médicamenteux et du mésusage des médicaments, permet d’appréhender le contexte de ce qui s’apparente à un véritable scandale sanitaire caractérisé par une procrastination des autorités de santé fonctionnant en silos :

  1. Revue systématique avec méta-analyse publiée en juillet 2019 dans le BMJ (ici, en accès libre, avec un supplément également accessible : ici).

Cette équipe de chercheurs anglais avaient pour objectif de quantifier systématiquement la prévalence, la sévérité et la nature des événements indésirables évitables, surtout en milieu hospitalier. Ils ont sélectionné pour leur méta-analyse 70 études dont les résultats avaient été publiés entre janvier 2000 et janvier 2019, regroupant 337 025 patients. Au total, 6% des patients hospitalisés (intervalle de confiance 95 %, 5 à 7 %) sont atteints par un événement indésirable évitable. Parmi eux, 12 %, (IC 95 %, 9 à 15 %) sont frappés par un événement indésirable sévère, une invalidité permanente ou un décès, qui étaient évitables. Avec 25 %, l’événement indésirable médicamenteux arrive en tête de ce sombre palmarès. Naturellement, les auteurs concluent sur la priorité à donner dans l’atténuation des événements indésirables médicamenteux évitables.

  1. Etude de cohorte observationnelle rétrospective après randomisation de 2 809 admissions dans 11 hôpitaux du Massachusetts sur l’année calendaire 2018 afin de déterminer la fréquence, le caractère évitable, la sévérité des événements indésirables subis par les patients, publiée en janvier 2023 dans le New England Journal of Medicine (ici). Ces chercheurs appartenant à la Harvard Medical School de Boston, ont identifié au moins un événement indésirable dans 23,6 % des admissions ("Trigger method", "data mining" = fouille informatique dans les dossiers médicaux informatisés). Sur les 978 événements indésirables, 222 ont été jugés évitables, soient 22,7 %. Trois-cent seize présentaient un niveau de sévérité "sérieux" (ayant entraîné une intervention conséquente ou un allongement de l’hospitalisation) ou davantage. Un événement indésirable évitable est survenu dans 6,8 % de toutes les admissions. Un événement indésirable sérieux ou plus grave est observé dans 1 % des admissions. Sept décès sont survenus dont un qui était évitable. Les événements indésirables médicamenteux étaient les plus fréquents (39 %), suivis par les chirurgicaux ou autres procédures (30,4 %), puis les événements liés au soins des patients (15,0 %), dont des chutes et des ulcères de stress ainsi que des infections nosocomiales (11,9 %). La durée de séjour est doublée lors des admissions avec survenue d’événements indésirables (9,3 jours) contre 4,2 jours en moyenne en cas d’absence d’événement indésirable.
  1. Commentaires publiés le 29 avril 2017 dans The Lancet par des cadres de l’OMS pour lancer sa nouvelle campagne "Medication Without Harm: WHO’s Third Global Patient Safety Challenge" (ici). En Français la campagne s’appelle : "Les médicaments sans les méfaits". L’OMS commence par rappeler qu’en 1960, un certain Alphonse Chapanis, transfuge de l’ingénierie, passé à la santé, avait fait une étude sur les erreurs médicamenteuses au sein d’un hôpital de 1 100 lits. Avec une collègue, ils avaient identifié 7 sources d’erreurs pouvant nuire au patient : omission d’un médicament, médicament administré au mauvais patient, à la mauvaise dose, en extra dose non-intentionnelle, par la mauvaise voie, au mauvais moment, ou médicament complètement erroné. Les auteurs observent que 60 ans plus tard, les mêmes types d’erreurs continuent de se produire dans le monde entier. Et de déclarer : "Il est difficile d'éviter la conclusion que si les recommandations de cette recherche révélatrice sur la sécurité des patients avaient été assidûment suivies au cours des cinq dernières décennies, des centaines de milliers de patients n’auraient pas perdu la vie ou été gravement blessés par des médicaments censés les guérir." Lors d’un sommet des ministres de la Santé à Bonn, le 29 mars 2017, le Dr Margaret Chan, directrice générale de l’OMS annonçait un plan plus qu’ambitieux qui devait en 5 ans réduire de moitié dans tous les pays les événements indésirables médicamenteux sévères et évitables ! (Communiqué de presse : ici, version française dis ponible en cliquant). La campagne ciblait principalement trois priorités : Les situations à haut risque, la polymédication, et les transitions de soins. L’OMS estimait alors à 42 milliards de dollars le coût annuel des erreurs médicamenteuses dans le monde. Chaque ministre de la Santé engagé à relever ce défi devait désigner un coordinateur national. Mais il aura fallu tout de même plus de deux ans pour que l’organisation propose à partir de juin 2019 des flyers, des guides, des webinaires supportant cette campagne. Mais ne cherchez pas vainement la page du site de l’Organisation mondiale de la Santé dédiée à cette campagne, elle a migré (ici).

Afin de savoir si l’initiative de l’OMS avait stimulé les experts de la sécurité de la prise en charge médicamenteuse et permis d’obtenir des améliorations notables, une recherche dans Pubmed effectuée sur les mots-clés suivants "medication without harm Who global patient safety challenge", n’a retrouvé que 26 publications dans des revues médicales (ici).

Parmi ces publications, nous pouvons en retenir deux :

  1. Lancet Healthy Longev, avril 2023 “Polypharmacy stewardship : a novel approach to tackle a major public health crisis” (ici). Trois médecins de l’hôpital et de l’université de médecine de Cork, Irlande, emmenés par le professeur Denis O’Mahony, à qui l’on doit les critères Stopp/Start mondialement connus pour "déprescrire" les médicaments potentiellement inappropriés chez la personne âgée, en sont les auteurs. Ceux-ci rappellent que "la polypathologie, la polypharmacie, et la fragmentation des parcours de soins (c'est-à-dire les patients qui consultent plusieurs médecins dans divers établissements) sont les principaux facteurs de risques liés aux médicaments qui peuvent avoir des conséquences fonctionnelles négatives pour les patients, des taux d'hospitalisation élevés, ainsi qu'une morbidité et une mortalité excessives, en particulier chez les patients fragiles de plus de 75 ans".

En réponse au défi lancé par l'OMS, ils proposent "le concept novateur, portant sur un plus large spectre de gestion de la polypharmacie, avec une intervention coordonnée, conçue pour améliorer la gestion des polypathologies, en tenant compte des médicaments potentiellement inappropriés, des omissions potentielles de prescription, des interactions entre plusieurs médicaments et entre médicaments et maladies, ainsi que des cascades de prescriptions, tout en alignant les traitements sur l'état, le pronostic et les préférences de chaque patient pris individuellement".

Des propositions cohérentes et synergiques sont proposées pour faire baisser l'iatrogénie (1) médicamenteuse. 

Les auteurs relèvent que "bien que l'initiative Médicaments sans les méfaits de l’OMS, était opportune et appropriée, elle ne contenait que peu de détails sur la manière dont les systèmes de soins de santé mettraient en œuvre et mesureraient l'impact de diverses interventions visant à réduire les lésions iatrogènes causées par des médicaments potentiellement inappropriés".

Ils reconnaissent aussi que la sécurité et l'efficacité de la gestion de la polypharmacie doivent être testées avec des essais cliniques bien conçus. Cependant, ils estiment que l’approche qu’ils proposent est de nature à minimiser les dommages liés aux médicaments chez les personnes âgées souffrant de multimorbidités et exposées à la polypharmacie.

  1. Lancet Digital Health, octobre 2019 “Medication errors and adverse drug events in a UK hospital during the optimisation of electronic prescriptions : a prospective observational study” (ici, et supplément : ici). Se référant aussi à la campagne “Medication without harm” de l’OMS, une équipe de huit pharmaciens seniors de l’hôpital universitaire de Newcastle, au Royaume-Uni, met en place une étude observationnelle prospective pour mesurer l’impact sur les erreurs médicamenteuses et les événements indésirables liés, lors d’une période de deux ans durant laquelle des améliorations seront apportées au système d’information des prescriptions électroniques.

En introduction, les auteurs mentionnent deux revues systématiques avec méta-analyses faites aux Etats-Unis, qui objectivent une réduction des événements indésirables médicamenteux évitables en comparant la prescription informatisée à celle manuscrite. La première (ici) publiée en 2008, montre une réduction du risque relatif d’erreur médicamenteuse comprise entre 13 et 99 %, entre 35 et 98 % pour les événements indésirables potentiels, et entre 30 et 84 % pour les événements indésirables avérés. La seconde (ici) datant de 2014 conclue sur une réduction de plus de 50 % des événements indésirables, ainsi qu’une diminution similaire des erreurs médicamenteuses liées.

Ils poursuivent en citant une étude anglaise (ici) menée dans un service de chirurgie à l’hôpital universitaire Hammersmith de Londres, avant et après intervention de l’équipe pharmaceutique, consistant en une mise en place d’une prescription électronique en "boucle fermée", couplée à une dispensation automatisée, une vérification de l’identité du patient et du médicament à administrer par lecture code-barres. Sur près de 5 000 prescriptions, les taux d’erreur de prescription passent de 3,8 % avant intervention à 2 % après, et de 7 % à 4,3 % pour les erreurs d’administration. Quant à l’étude de Newcastle, bien que les taux globaux d'erreurs médicamenteuses par admission n'aient pas changé, une réduction de certains types d'erreurs (erreurs de dose et retards évitables dans la mise en route de traitements) et une diminution significative des taux d'événements indésirables médicamenteux potentiels a été constatée sur une période de deux ans. La classification des différents types d’erreurs médicamenteuses utilisée pour cette étude par les pharmaciens de Newcastle est un modèle à suivre pour mesurer l’impact sur la réduction des événements indésirables médicamenteux de toutes mesures visant à les éviter. Elle est présentée pages 2-5 dans le supplément (Voir le lien de téléchargement mentionné plus haut).

A noter aussi, au hasard de la visualisation d’un webinar proposé par l’OMS portant sur le challenge "Médicaments sans les méfaits" avec la présentation faite par le Pr Gaston Perman (ici entre 54:42 et 1:06:33 de l’enregistrement vidéo), une étude de faisabilité d’une intervention menée à Buenos Aires, Argentine, visant à déprescrire chez 879 patients âgés de plus de 65 ans les médicaments potentiellement inappropriés dans huit classes (anti-inflammatoires non-stéroïdiens, benzodiazépines, antihistaminiques, opioïdes, antidépresseurs tricycliques, myorelaxants, antihypertensifs, oxybutynine). Par rapport aux données basales, six mois avant l’intervention par des médecins de premier recours, l’usage des anti-inflammatoires non-stéroïdiens a été divisé par trois, et celui des autres médicaments ciblés par deux. Voir l’abstract de la publication (ici). Bien sûr, cette étude n’est pas comparative versus placebo, et il manque le résultat de santé (outcome), qui aurait pu être comme critère de jugement principal les années de vie en bonne santé…

(1) "Iatrogène : se dit d’un trouble, d’une maladie provoquée par un acte médical ou par les médicaments, même en l’absence d’une erreur du médecin." (Le Petit Larousse illustré, édition 2020).

François Pesty, est pharmacien et expert conseil indépendant. Il a donné à France-Soir des "Chroniques Covid"

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