A Ploërmel, la croix de la discorde défie la laïcité française
Faut-il ou non retirer une croix surplombant une statue de Jean Paul II? Le débat, qui met au défi la laïcité de l'Etat, chère aux Français, divise le village breton de Ploërmel, où les habitants balancent entre amertume et indifférence.
"J'espère que vous n'allez pas nous enlever notre Jean Paul!". Alerté par la présence de journalistes au pied du monument de 7,50 mètres de haut, Guy Olszewski, d'origine polonaise, est spontanément descendu de sa voiture pour apporter sa pierre au débat. "Ça me dépasse! Nous sommes dans un pays chrétien. Quand je vois que l'on construit des mosquées dans d'autres communes...", bougonne-t-il.
"Ce n'est pas la statue en elle-même qui pose problème. Le pape est un personnage comme un autre, ça pourrait être De Gaulle ou n'importe qui. Mais le fait qu'on ait apposé une croix immense au-dessus en fait un monument religieux", lui réplique Michel Pageot, de retour de la boulangerie dans cette région très catholique de l'ouest de la France.
Dans la commune bretonne d'environ 10.000 habitants, la statue de bronze de Jean Paul II, en place depuis 2006 au centre d'un parking public sous une arche imposante surmontée d'une croix, fait aujourd'hui partie du paysage et beaucoup de Ploërmelais ont accueilli avec détachement la récente décision du Conseil d'Etat, haute juridiction administrative ordonnant le retrait de la croix au nom de la laïcité de l'Etat.
La France est au terme d'une loi de 1905 une république laïque, avec un Etat neutre, séparé des religions.
Cette laïcité, rare en Europe, est fièrement défendue par de nombreux Français. Selon un sondage publié en 2017 par l'institut WinGallup, 50% des Français se déclarent soit athée, soit sans religion, contre 45% se déclarant religieux.
Mais elle est aussi régulièrement un sujet de vifs débats, autour de certaines manifestations publiques de la foi musulmane (voile, burkini par exemple), ou de l'héritage chrétien du pays (crèches de Noël, etc...).
A l'été 2016, des maires de droite ont voulu interdire sur les plages le burkini. Le Conseil d'Etat avait cependant estimé qu'on ne pouvait pas bannir ces tenues de bain intégrales pour femmes musulmanes si elles ne causaient pas de troubles à l'ordre public.
La juridiction avait aussi donné son feu vert à l'installation de crèches dans des bâtiments publics, qui était contestée, encore une fois au nom du respect de la laïcité.
C'est également en ce nom que l'ancien président français Jacques Chirac avait refusé d'inscrire dans le projet de Constitution européenne, finalement retoquée par référendum en 2005, une mention faite aux racines chrétiennes de l'Europe.
- Menaces de mort -
Des polémiques qui sont parfois loin des préoccupations des habitants à Ploërmel.
"Elle ne me dérange pas cette statue, elle est à sa place ici et fait même venir des touristes", note l'un d'eux, Denis Robin. "Je ne comprends pas cette polémique et je pense malheureusement qu'elle n'est pas finie".
"Arrêtons de nous culpabiliser en permanence. La France, c'est la France et aucune juridiction, même la plus haute, n'a le droit de violenter nos convictions, nos croyances et surtout notre culture", assène de son côté l'ancien maire de droite Paul Anselin, à l'origine de l'installation de la sculpture.
Ce personnage baroque de 87 ans, qui a rencontré Jean Paul II en 1987, souhaite l'organisation d'un référendum d'initiative locale. Il appuie la proposition du maire de droite actuel, Patrick Le Diffon, de privatiser le terrain afin qu'il ne tombe plus sous le coup de la loi de 1905.
"Ce n'est pas en privatisant un espace autour de la statue que ce sera réglé, car c'est le caractère ostentatoire de la croix qui pose clairement problème", répond Gilles Kerouedan, membre de la Fédération morbihannaise de la Libre pensée et opposant de la première heure au monument.
Cet habitant de Ploërmel a déposé plainte cette semaine après avoir reçu des menaces de mort.
La décision du Conseil d'État, rendue le 25 octobre, déchaîne aussi les passions sur les réseaux sociaux, notamment à travers le mot-dièse #touchepasmacroix.
De nombreuses personnalités politiques ont également réagi, parmi lesquelles Nadine Morano (Les Républicains (LR), droite) et la Première ministre conservatrice polonaise Beata Szydlo. Elle a fait savoir que son gouvernement "tentera de sauver de la censure le monument de notre compatriote", proposant même de le transférer en Pologne.
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