Abattoirs : la vidéosurveillance ressuscitée, mais pour combien de temps ?

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Lalia Andasmas, édité par la rédaction
Publié le 05 juin 2018 - 14:04
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Images de cochons suspendus dans l'abattoir municipal d'Alès prises par l'association L214, le 14 octobre 2015
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© - / COURTESY OF L214 VIA YOUTUBE/AFP/Archives
Les critères de sélection des abattoirs qui expérimenteront la vidéosurveillance n'ont pas été dévoilés.
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L'Assemblée nationale a voté fin mai, dans le cadre de la loi Agriculture et Alimentation, le principe d'une expérimentation de la vidéosurveillance dans des abattoirs volontaires pour veiller au bien-être animal, en lieu et place d'une obligation de présence de caméras dans tous les établissements. L'analyse pour France-Soir de Lalia Andasmas, juriste spécialisée dans le droit animalier.

Les vidéos de l'association L. 214 Ethique et Animaux[1] ont conduit, sous la présidence d'Olivier Falorni (député des Charentes-Maritimes), à l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français[2].Dans ses conclusions, elle préconisait notamment la généralisation de la vidéosurveillance à tous les abattoirs au 1er janvier 2018, dans toutes les zones, y compris celles d'acheminement et d'hébergement. Il en a résulté une proposition de loi[3] qui a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale. Cependant, elle n'a pas pu être discutée au Sénat en raison de la fin de la mandature.

A l'issue des Etats généraux de l'alimentation, le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable [4] ne prévoyait pas l'installation obligatoire de caméras dans les abattoirs. Fin avril, l'amendement déposé par le député Olivier Falorni a été rejeté par la commission des affaires économiques. Par la suite, plusieurs amendements traitant de la vidéosurveillance obligatoire ont été également déposés, mais tous rejetés[5] en première lecture. Le rapporteur LREM, Jean-Baptiste Moreau (éleveur et ancien directeur d'abattoir) ne les a pas soutenus, sauf un qui fait office de compromis ou "d'amendement de repli"[6] pour reprendre une expression utilisée à plusieurs reprises par le député LREM Loïc Dombreval lors des débats parlementaires. L'amendement de ce député a été modifié puis adopté. Le premier paragraphe est inchangé. Il dispose: "Dans un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, à titre expérimental et sur la base du volontariat, pour une durée de deux ans, un dispositif de contrôle par vidéo des postes de saignée et de mise à mort, visant à évaluer l'efficacité des protocoles et l'application de la réglementation du bien-être animal, est mis en œuvre".

Ainsi les députés ont adopté la mise en place d'une expérimentation de la vidéosurveillance dans les abattoirs. Pour autant, le deuxième paragraphe apporte des réserves quant à l'existence même de cette expérimentation. En effet, il dispose: "Un décret, pris après avis de la Commission nationale informatique et libertés, précise les catégories d’établissements concernés, les procédés de mise en œuvre de ce contrôle vidéo, les modalités de recueil de l’avis conforme du comité social et économique ou, à défaut, des institutions représentatives du personnel, de maintenance, d’utilisation ainsi que les règles d’archivage et de mise à disposition et de recueil des données collectées par les enregistrements vidéo aux fins d’éventuels contrôles administratifs". Par conséquent, à ce stade de la procédure législative, la vidéosurveillance n'est qu'une coquille vide. Néanmoins de nombreuses questions se posent, notamment celles du choix de l'expérimentation et du choix des abattoirs.

Lire aussi - Vidéosurveillance dans les abattoirs: l'Assemblée vote une expérimentation

Le procédé de l'expérimentation est usuellement utilisé lorsqu'il existe un réel doute quant à l'efficacité d'une mesure envisagée. Il a notamment été utilisé en matière de collectivité territoriale avant d'étendre un transfert de compétence par exemple. Mais la démarche en matière de vidéosurveillance est tout autre. La lecture des débats parlementaires révèle qu'il s'agit surtout d'éviter de répondre par la négative à une question sociétale. Le député Loïc Dombreval, à qui la protection des animaux tient à cœur, a néanmoins réussi à l'imposer. Pour autant, le rejet de l'amendement n° 2096 du député Claire O'Petit visant à mettre en place un label "abattage sous contrôle vidéo" ne présage pas d'une réelle envie de voir s'installer un tel système de surveillance dans les abattoirs. Ainsi, il est légitime de se poser la question de savoir si au bout des deux ans d'expérimentation le même sort ne sera pas réservé à la vidéosurveillance.

Cette affirmation n'est pas gratuite puisque l'issue des débats était finalement assez prévisible. Pour s'en convaincre, il suffit de lire la réponse du ministre de l'Agriculture à la question écrite de la députée Marietta Karamali[7] : "Pour ce qui est de la vidéosurveillance, la mise en œuvre de conditions décentes de mise à mort relève de la responsabilité des professionnels, qui ont la liberté des moyens pour y parvenir, tant qu'ils atteignent l'objectif. Il existe différents types de contrôle interne pour cela: la vidéosurveillance est un moyen parmi d'autres. Sa mise en place doit conjuguer efficacité et respect des salariés dans un environnement déjà difficile qui peine à recruter. Elle ne doit pas concourir à des difficultés accrues dans ce domaine et le recours à des personnels sur de courtes durées, rendant peu efficaces les dispositifs de formation et de sensibilisation mis en place. L'État, quant à lui, doit s'assurer que le professionnel met en œuvre des mesures efficaces et, pour cela, disposer d'inspecteurs sur le terrain ayant les moyens de mettre fin à la souffrance animale par une action plus efficace que le visionnage des enregistrements vidéo qui, a posteriori, ne permettent pas de mettre fin à la souffrance en temps réel et de qualifier des infractions pénales d'autre part. Un travail est en cours pour renforcer les actions correctives en cas d'absence de contrôle interne par les professionnels de l'abattage. La vidéosurveillance a d'ores et déjà été mise en place, de façon durable ou non par certains abattoirs en France".

Dans une autre réponse, le ministre de l'Agriculture indique: "Il s'avère en effet plus opportun de privilégier le contrôle sur place au contrôle d'enregistrements vidéo qui, a posteriori, ne permettent pas, d'une part, de mettre fin à la souffrance et d'autre part, de qualifier des infractions pénales[8]." Les dés étaient donc jetés...

L'autre grande question est celle de savoir quels sont les abattoirs qui vont se porter volontaires? Du moins, au vu du deuxième paragraphe, sur quels critères le ministère de l'Agriculture va-t-il se fonder pour choisir les établissements concernés? "Un décret, pris après avis de la Commission nationale informatique et libertés, précise les catégories d'établissements concernés", affirme le texte. Par conséquent, les abattoirs volontaires qui ne feraient pas partie de cette catégorie ne pourraient pas l'expérimenter. De plus, que va-t-il se passer si les abattoirs[9] qui actuellement font l'expérimentation de façon volontaire ne répondent pas aux critères posés par le décret[10]? Vont-ils être choisis en fonction de leur taille? Du fait qu'ils soient privés ou publics? De leur implantation géographique? Du nombre de salariés? Les critères peuvent être nombreux et n'ont pas été précisés.

Pour le moment, seuls certains Etats des Etats-Unis, Israël et le Royaume-Uni ont rendu obligatoire la vidéosurveillance. En France le débat n'est pas clos et le texte n'a pas été définitivement voté; le projet de loi devant être discuté au Sénat. Reste à espérer que l'opinion publique, régulièrement choquée par la diffusion des vidéos de L.214, puisse être prise en compte. Un sondage Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot et l'association Droits des animaux publié en 2016 avait d'ailleurs montré que 85% des Français était favorable à la présence de la vidéosurveillance.


Notes:

[1] https://www.l214.com/

cf. Joël KIRSZNBLAT, "Le saigneur des agneaux: le retour du droit": "Cet essor législatif est la conséquence des récentes vidéos mises en lignes par l'association L. 214 depuis fin 2015. L'heptalogie débute en 2015 à l'abattoir d'Alès (Gard): des chevaux sont saignés encore conscients, des vaches, pendues, se débattent exsangues, des animaux sont recouverts de matières fécales... S'ensuit en février 2016, des vidéos, montrant des mauvais traitements sur des animaux certifiés "bio" dans l'abattoir intercommunal du Vigan (ironique d'une certaine manière, avec son homonyme "vegan"), puis en mars 2016 avec l'abattoir de Mauléon-Licharre (lui aussi s'occupant de bêtes certifiées "bio" et "Label Rouge") où les animaux sont envoyés à l'abattoir avec des coups de crochet et des décharges électriques, puis à Pézenas, Puget-Théniers où des sévices graves sont infligées aux animaux avant leur mise à mort rituelle et conventionnelle, à Limoges, où des fœtus de veaux sont arrachés du ventre de leur mère, fraîchement abattue, et enfin, tout récemment, des actes de cruauté grave sur des porcs dans un élevage breton". Revue Semestrielle de Droit Animalier 2/2016 p. 155 http://www.unilim.fr/omij/files/2017/06/RSDA_2_2016.pdf

Depuis les vidéos de maltraitance se succèdent. La dernière date du 20 mai. Elle dénonce les conditions de vie des poules pondeuses d'un élevage des Côtes-d'Armor. Le 21 mai Brigitte Bardot et Rémi Gaillard dénonçaient les conditions d'abattage des animaux à Alès

[2] Ainsi qu'un colloque organisé par Lucille Boisseau-Sowinski et Jean-Pierre Marguénaud, Droits de regard sur l'abattage des animaux d'élevage, 7 avril et 8 septembre 2017 à Brive-la-Gaillarde.

[3]Proposition de loi du député Olivier Falorni relative au respect de l'animal en abattoir du 17 janvier 2017

[4] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2017-2018/20180232.asp

Le gouvernement a fait le choix de la procédure accélérée (article 45 alinéa 2 de la Constitution).

[5] Amendement n° 222 du député Olivier Falorni (par manque de temps, le député n'a pas pu défendre son texte). Amendement n° 1582 du député Eric Diard. Amendement n° 2392 du député Typhanie Degois. Amendement n° 2230 du député Gabriel Serville.

[6] Toutefois Loïc Dombreval n'a pas utilisé cette expression pour la vidéosurveillance. Il s'agit d'un "amendement d'apaisement et de consensus".

[7] Question écrite n° 5020 de Mme Marietta Karamali publiée au JO le 6 février 2018 - Réponse du ministre de l'agriculture publiée au JO le 24 avril 2018: http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-5020QE.htm

[8] Question écrite n°6723 de M. Eric Diard (Les Républicains - Bouches-du-Rhône), publiée au JO le 27 mars 2018. Réponse du ministre de l'agriculture publiée au JO le 1er mai 2018 http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-6723QE.htm

[9] Selon Loïc Dombreval, "En France, certains abattoirs, ceux de Bergerac, Bègles, Houdan, Douai, notamment, ont déjà mis en place des systèmes de vidéosurveillance, de façon individuelle et sans que l’on puisse en tirer des conclusions générales".

[10] Ils ne feront pas partie de l'étude du ministère de l'Agriculture.

 

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