Arbitrage Tapie : Christine Lagarde "négligente" mais dispensée de peine
La patronne du Fonds monétaire international (FMI) et ancienne ministre Christine Lagarde a été reconnue coupable de "négligence" dans sa gestion de l'arbitrage Tapie mais dispensée de peine, ce lundi 19 par la Cour de justice de la République.
Les trois magistrats, les six députés et les six sénateurs sont allés à l'encontre des réquisitions du parquet qui avait réclamé la relaxe pour l'ancienne ministre de l'Economie, en place de 2007 à 2011. Elle risquait jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende.
La CJR n'a rien trouvé à reprocher à Mme Lagarde concernant le lancement en 2007 d'une procédure d'arbitrage pour solder un vieux contentieux entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais. En revanche, elle a estimé qu'en ne tentant pas de recours en 2008 contre la sentence arbitrale, la ministre avait bien fait preuve de "néligence" et "rendu inéluctable l'appropriation par les époux Tapie d'une somme de 45 millions euros", correspondant à leur prétendu préjudice moral.
Cette négligence "a été l'une des causes déterminantes" du détournement de fonds qui a ainsi bénéficié à l'homme d'affaires, lequel a touché au total plus de 400 millions d'euros via un arbitrage, désormais annulé pour fraude.
Il n'y a pas d'appel possible des décisions de la CJR, seule habilitée à juger des membres d'un gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions. Ne reste qu'un éventuel pourvoi en cassation à Mme Lagarde, absente lors du délibéré car "retenue pour des raisons professionnelles" à Washington, selon son avocat, Patrick Maisonneuve.
La directrice générale du FMI n'a jamais lié son sort judiciaire et son destin à la tête de l'organisation internationale, dont les statuts ne prévoient pas une démission automatique en cas de condamnation.
Vendredi, avant que la Cour n'entre en délibérations, Christine Lagarde avait dit avoir "agi (...) avec pour seul objectif la défense de l'intérêt général", en autorisant en 2007 une procédure arbitrale avec Bernard Tapie pour solder son litige avec l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais.
Annulé en 2015 pour fraude au civil, cet arbitrage privé fait l'objet d'une enquête pénale pour "détournement de fonds publics" et "escroquerie", distincte de celle qui a visé l'ancienne ministre.
Au cours des débats, Christine Lagarde a été bousculée par la présidente Martine Ract Madoux. "C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir!", a lancé la pugnace magistrate, en s'étonnant que la ministre ne tente aucun recours quand trois juges arbitres accordent plus de 400 millions d'euros d'argent public à Bernard Tapie à l'été 2008.
A l'époque Christine Lagarde conclut, un peu rapidement selon les enquêteurs, que les arguments juridiques pour un recours sont trop minces. "Devant une décision aussi scandaleuse, même si nous n'avions qu'une chance sur mille de gagner", il fallait y aller, a au contraire affirmé mercredi Bruno Bézard, qui dirigeait alors l'Agence des participations de l'Etat.
L'ancien haut fonctionnaire de Bercy, dont les avis hostiles à l'arbitrage n'ont pas été entendus, a fait une cible de choix pour la défense. Me Patrick Maisonneuve a chargé un technocrate "très droit dans ses bottes", un "Monsieur-qui-sait-tout" qui envoie note sur note, sans jamais franchir les "quelques mètres" qui le séparent du bureau de la ministre afin de l'avertir de vive voix.
Les audiences ont aussi été marquées par une absence: Stéphane Richard, actuel PDG d'Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, a préféré ne pas venir témoigner. Mis en examen dans l'enquête principale, non-ministérielle, avec entre autres Bernard Tapie, il en avait le droit, pour préserver sa propre défense.
Devant la CJR, Stéphane Richard a été accablé par nombre de témoins, qui en ont fait le premier partisan d'un arbitrage du vieux contentieux entre l'homme d'affaires et le Crédit Lyonnais, mené jusque là devant les tribunaux.
Aux élus, majoritaires au sein de la CJR, qui écoutaient un réquisitoire aux accents de plaidoirie, le procureur général Jean-Claude Marin a affirmé que "prendre une mauvaise décision n'est pas (...) en soi seul un délit". "C'est à la frêle limite entre le politique et le judiciaire que vous aurez à vous déterminer". La CJR a tranché.
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