Derrière le ras-le-bol des Gilets jaunes, la réalité d'un appauvrissement
C'est l'une des raisons de la colère diffuse et des revendications hétéroclites qui animent les gilets jaunes comme ceux qui les soutiennent: l'impression d'une paupérisation de la classe moyenne et de la classe moyenne inférieure à laquelle ils appartiennent, et un décrochage progressif avec des "élites" mal définies.
L'appauvrissement des Français modestes est-il un ressenti ou une réalité? D'un point de vue politique, la question importe peu, le ressenti suffisant pour initier une action populaire, mais l'incompréhension s'accroît entre les chiffres avancés par les autorités –croissance correcte, chômage maîtrisé (à défaut de baisser) et pouvoir d'achat annoncé en hausse– et le sentiment des protestataires sur le terrain.
D'autant que certains indicateurs mettent en évidence les tendances que Bercy ne peut pas voir. Ipsos et le Secours populaire français publient (voir ici) en effet annuellement un indicateur de la pauvreté en France, et leurs résultats pour 2018 montrent que les effets du mouvement débuté avec la crise de 2008 sont toujours vivaces. L'indicateur montre en effet que si le nombre de personnes en difficulté financière recule… le mouvement est inversé pour les ménages qui gagnent moins de 1.200 net par mois. Parmi ce segment de revenus, 56% des ménages ont déclaré avoir connu une situation difficile au cours de l'année, soit une envolée de 6 points en un an. Et si 41% des Français déclarent qu'ils ont eu mal à s'offrir une fois par an des vacances, cela grimpe à 67% chez ceux qui gagnent moins de 1.200 euros.
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La paupérisation ressentie est également caractérisée par la hausse des "dépenses contraintes", à savoir l'addition des frais de logement, des assurances, des abonnements de télévision et de télécommunication et des frais de cantine pour les enfants. Selon l'Insee (voir ici), ils sont passés de 12% dans les années 1960 à 30% en 2017. Mais là encore, les écarts sont considérables. Selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) en 2012, si le décile le plus riche peut encore compter sur 1.474 euros, le décile le plus pauvre n'a plus que 80 euros pour le mois, une fois toutes les charges payées. Un montant dont les frais de nourriture ne sont par exemple pas déduits. Des chiffres qui confirment l'image d'une partie de la population pour qui une charge fiscale de 10 ou 15 supplémentaires est, pour reprendre l'expression entendue dans les cortèges de gilets jaunes, "la goutte d'eau qui fait déborder le vase".
Autre élément enfin indiquant la déconnexion entre les estimations réelles et le ressenti de terrain, l'indicateur Ipsos rapporte que les Français estiment que le seuil de pauvreté est fixé (selon la moyenne des réponses) à 1.118 euros net mensuels. Un chiffre pratiquement équivalent au niveau du Smic pour un travail à temps plein –dont Edouard Philippe vient d'annoncer qu'il n'y aurait pas de coup de pouce au 1er janvier– et supérieur au seuil de pauvreté qui est, selon l'Insee, de 1.026. Dans le ressenti, le nombre de pauvres est donc supérieur au 8,8 millions de personnes (en 2016) concernées par les statistiques officielles.
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Les "gilets jaunes", un mouvement de colère qui dure en France
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