Jérôme Rodrigues, le "gilet jaune" devenu symbole des violences policières
Sa grosse barbe et son chapeau l'avaient rendu célèbre parmi les "gilets jaunes", son oeil bandé l'a transformé en "symbole": blessé à un oeil lors d'une manifestation le 26 janvier, Jérôme Rodrigues est devenu un emblème du combat contre les violences policières.
Samedi, pour l'acte 12 dédié aux blessés du mouvement, cet ancien commerçant de 39 ans a reçu un accueil de rock star à Paris. Pressé par les sollicitations des médias et des "gilets jaunes", encadré par une quinzaine de gardes du corps improvisés, il a peiné à se frayer un passage sur la place Félix-Eboué, d'où devait s'élancer le cortège.
Il en a été exfiltré avant le départ de la manifestation. "J'ai reçu des menaces parce que j'ai appelé au pacifisme", confiait-il à l'AFP vendredi: "Je garde ma ligne directrice, ça fait deux mois que je me bats pour le pacifisme, pour qu'on organise des manifs. Je ne suis pas un violent à la base."
"Il est pacifiste, il exprime juste ses pensées et il s'est fait blesser: il est à l'image de ce mouvement", affirme Valentin, manutentionnaire de 19 ans présent dans le défilé parisien. "C'est une figure, c'est même un martyr maintenant", ajoute Laurence, 52 ans.
L'engouement médiatique, alimenté par la polémique avec les autorités sur l'origine de sa blessure (LBD, grenade de désencerclement...), "me dépasse un peu", glisse-t-il: "Ça me dérange d'être un symbole. Je me battais pour remplir le frigo, le RIC (référendum d'initiative citoyenne, ndlr) et la fin des privilèges et je m'aperçois qu'aujourd'hui je vais devoir mener un nouveau combat."
"Mais je ne veux pas que mon cas particulier éclipse les 19 autres (blessés à l'oeil par LBD, selon le collectif Désarmons-les), je veux qu'il les mette en lumière. Moi j'ai de la chance, j'ai eu des milliers de personnes devant l'hôpital, j'ai ma famille. D'autres sont tout seuls", explique-t-il.
Ce "gilet jaune" de la première heure, connu notamment pour filmer et diffuser les manifestations sur Facebook, ne sait pas encore s'il récupèrera la vue de son oeil droit.
- "On aurait dû faire ça en 2008" -
Jusqu'à mi-novembre, ses souvenirs de manifestions étaient "festifs". "Quand j'étais gamin, mon grand-père m'amenait aux manifs pour Mandela, pour la paix. On venait en bus de Tremblay (en banlieue parisienne), j'avais mon petit paquet de bonbons à cinq francs, on faisait une balade à Paris", se souvient-il.
De mère "franco-française" et de père portugais, il a grandi dans une double culture politique: "Communiste côté français, catholique et pas communiste du tout côté portugais". "Mais je ne vote pas communiste", s'empresse-t-il de préciser: "J'ai toujours été élevé dans le respect des uns et des autres."
Un mouvement comme celui des "gilets jaunes", il l'attendait "depuis des années". "On aurait dû faire ça en 2008 pendant la crise des banques qu'on nous a demandé de renflouer", estime-t-il: "J'ai pas attendu que Macron dise de traverser la rue, j'ai traversé la France pour trouver du boulot et ça marche pas".
Après avoir géré un grand magasin de jouets à Paris, un "accident de vie d'ordre sentimental" l'a conduit à partir travailler en Espagne et à Perpignan, avant de revenir dans la capitale où il était en reconversion dans la plomberie.
Après sa blessure, "quand le médecin m'a dit que j'avais trois mois d'ITT, j’ai fondu en larmes", raconte-t-il: "J'ai été élevé dans la culture du travail, père portugais oblige. Le fait de ne plus pouvoir travailler, ça me déglingue. Je n'ai pas encore eu le temps de me poser pour réfléchir, mais la question va se poser de ce que je vais faire de ma vie".
En attendant, il entend s'investir dans le mouvement. "J'ai pris conscience que ma voix a l'air d'avoir de l'importance. Lorsque ça a commencé, je m'étais senti investi d'une mission en tant que témoin-acteur. Aujourd'hui, j'ai une nouvelle responsabilité qui m'incombe, c'est d'essayer d'emmener le mouvement plus loin et de refédérer les forces qui se sont un peu embrouillées ces derniers temps. C'est n'est que par la cohésion qu’on pourra avancer."
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