"Leader affaibli" et "France ingouvernable", la presse étrangère commente les législatives
"La France est entrée en terre inconnue". Peu après le résultat des élections législatives du 19 juin, la presse internationale a pointé la défaite "cuisante" d’Emmanuel Macron, qui n'a pas obtenu la majorité absolue au Parlement. L’avenir du pays est-il "condamné à l’ingouvernabilité", comme s’en inquiètent certains médias étrangers ?
Un leadership remis en cause ?
Bien que sa campagne présidentielle ait été quasi invisible, Emmanuel Macron a été réélu haut la main face à Marine Le Pen. Puis, comptant sur ses alliés politiques pour former "Ensemble !", lors des élections législatives, et ainsi composer un groupe parlementaire solide, il a rapidement déchanté. Pour ce second mandat, sa majorité ne sera que relative. Selon Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, le chef de l’État "n’est plus Jupiter" (BBC, 20/06/22).
Pour rappel, la majorité présidentielle s’obtient à 289 sièges sur 577. Hélas, c'est un "échec sévère" pour Emmanuel Macron et ses partisans, puisque son groupe parlementaire n'a récolté que 246 sièges. Alors, qui de "l'hyper président" (cf. entretien avec Eric Verhaeghe) ou de son groupe parlementaire a manqué de convaincre les Français ?
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Lors de son précédent quinquennat, le président de la République n’a pas hésité à "bafouer le Parlement", comme le rapporte le journal allemand Frankfurte Allgemeine Zeitung. Le quotidien accuse : "Il prenait des décisions seul, aux côtés d’un petit cercle de fidèles. Il n’a pas tenu sa promesse électorale de renforcer l’Assemblée nationale. Ce style de leadership a été puni".
Il s'agit d'une situation inédite pour la Vᵉ République. Celle-ci voit renaître deux partis d'opposition (NUPES et RN), souvent considérés par la presse étrangère comme étant "les extrêmes", qui vont probablement couper les ailes du président.
Bien qu'il ait été réélu, les Français semblent avoir conclu des cinq années précédentes que le leadership autoritaire du chef de l’État doit être tempéré. Le New York Times observe que le pouvoir est désormais entre les mains de l’Assemblée nationale, suite à un "premier mandat au cours duquel le style de gouvernement descendant avait été largement déprécié". Dressant une image sarcastique du chef de l’État, le journal américain décrit ainsi "un Parlement fragmenté" qui "fait redescendre Macron sur terre".
Une position incertaine à l'échelle européenne et internationale
Les résultats de ce dimanche 19 juin sont-ils foncièrement inquiétants pour l’avenir de l’Union européenne ? C’est ce que pensent certains médias pro-européens.
D'abord, lors du second tour de l’élection présidentielle, les principaux journaux européens s’inquiétaient de la potentielle victoire de Marine Le Pen : "Pareil qu’en 2017 ? Personne ne devrait en être trop sûr", prévenait alors le Frankfurter Allgemeine Zeitung. À ce moment-là, Emmanuel Macron devait relever "Un défi pour l’Europe", selon le journal italien La Stampa. Président du Conseil de l'UE, les problèmes de politique intérieure française paraissaient déjà loin.
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— La Stampa (@LaStampa) April 11, 2022
Pour les médias européistes, dont La Stampa, "la position européenne et internationale de la France devient beaucoup plus incertaine". Comme le conçoit le journal québécois Le Devoir, "l’instabilité politique s’invite en France". Le média reconnaît toutefois que les 89 sièges obtenus par le Rassemblement national représentent une "formidable percée". Le tsunami politique provoqué par les forces d’opposition constitue-t-il un véritable enjeu pour les futures prises de décision du groupe "Ensemble !" ?
Le Devoir estime que le chef de l'État a appelé les Français à lui donner une "majorité solide". "Ces derniers semblent ne pas l’avoir entendu, préférant ne lui accorder qu’une majorité relative".
"Inquiétant, le résultat de ces législatives l'est aussi pour l'Europe", s’alarme le quotidien belge Le Soir. Et d'ajouter : "Avec la France qui se réveille ingouvernable, c'est la seule puissance nucléaire de l'Union qui est affaiblie. Et on se demande évidemment comment va se positionner la France dans les crises majeures actuelles avec une Assemblée aussi divisée et qui n'a sans doute jamais été aussi antieuropéenne". De son côté, le journal suisse Le Temps déplore une "triste soirée pour l’Europe".
En somme, la presse étrangère semble s'inquiéter du fait qu'Emmanuel Macron ne puisse plus commander comme il l'entend. Mais n'est-ce pas le signe d'un débat démocratique renaissant ?
Le pays est-il "ingouvernable" ?
Après avoir fait barrage à l'extrême-droite lors de la présidentielle, les Français ont donc fait barrage à la majorité absolue d'Ensemble. Mais ces quelques moments de convergence n'effacent pas les tensions exacerbées entre les uns et les autres. De l'extérieur, on voit toujours une "Assemblée divisée". La NUPES fait figure d'exemple, puisque depuis le vote, elle est en proie à une explosion interne due aux divergences entre le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et Europe Écologie Les verts (EELV). Ceux-ci se sont unanimement opposés à la décision de Jean-Luc Mélenchon de fonder un parti unique à l’Assemblée nationale. De leur côté, Les Républicains ne semblent pas près de prêter main forte à la majorité présidentielle. Çà et là, le parti d'Emmanuel Macron tente d'ores et déjà quelques appels du pied. Mais pour l'instant, seul le Rassemblement national, qui se réjouit d'un "score historique", laisse espérer de légers compromis. Ce qui n'est pas pour rassurer la presse étrangère.
Les médias américains sont pessimistes. Le Wall Street Journal rapporte une "influence inédite de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche".
Dans un édito, le journal espagnol El País considère que "le risque d'ingouvernabilité va s'accroître avec la nouvelle fragmentation de l'Assemblée". Les journalistes déplorent une "partition en trois camps", craignant une cacophonie "ingouvernable".
Finalement, si la "défaite cuisante" d’Emmanuel Macron semble inquiéter la presse étrangère, les résultats de ces élections législatives traduisent avant tout une lassitude politique des Français, soulignée par une abstention frôlant les 54 %. Et si certains craignent une paralysie politique pour ce second mandat d'Emmanuel Macron, peut-être cela va-t-il toutefois redynamiser un débat parlementaire absent depuis cinq ans.
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