"Moi aussi je suis Corse !" : à Ajaccio, les musulmans redoutent le racisme
Il dit se sentir "100% Marocain, 100% Corse et 100% Français". Avant les actes anti-musulmans qui ont éclaté dans son quartier d'Ajaccio, ces derniers jours, Mimoune n'avait pas à choisir entre ses origines, son île, et son pays. Depuis, il ne sait plus vraiment.
Les manifestants qui ont investi vendredi 25 la cité des Jardins de l'Empereur, mettant le feu au Coran, aux cris d'"Arabes dehors", ont jeté du sel sur des plaies que l'on devine longues à refermer, dans ce quartier populaire. "Il faut essayer d'apaiser les choses", témoigne Mimoune, rencontré lundi 28 au milieu des immeubles pastel de six à dix étages, aux rez-de-chaussée décatis, qui composent la cité : "les enfants, j'essaie de les laisser sur la Playstation pour ne pas qu'ils regardent la télé". "On est très inquiets, mais on n'est pas terrorisés. On est des hommes quand même", ajoute ce père de famille, partagé comme beaucoup entre la volonté de témoigner de la xénophobie dont ils s'estiment l'objet et la crainte de passer pour des "victimes".
Devant la boulangerie, rare commerce du quartier, la rencontre entre Jacqueline, standardiste à l'hôpital, et Kamel, un trentenaire qui a toujours habité là, résume l'incompréhension régnante. Elle: "Je suis Corse, moi! J'ai la bandera (le drapeau à tête de Maure, emblème de l'île, NDLR) sur mon balcon". Lui: "Moi aussi je suis Corse, je vis là, je paie mes impôts! La racaille, elle est blanche, elle est noire, elle est de toute les couleurs, la religion n'a rien à voir là-dedans".
Cette impression qu'il y aurait deux catégories de Corses, l'une issus de l'immigration et l'autre vivant sur l'île depuis des générations, est largement partagée par ceux qui ont grandi dans ce quartier. "Ce matin, dans mon entreprise, beaucoup de personnes sont venues me voir pour me dire: +tu as des amis+", raconte Nordine, ému par ces marques de solidarité. Mais "la vraie question, c'est pour ma fille: est-ce qu'elle aura des amis?", s'inquiète le père de famille, dont les cousins habitent le quartier des Jardins de l'Empereur.
"Il y a beaucoup de xénophobie, dans les rues on entend souvent +arabes dehors+", témoigne Sabri, qui a vécu plusieurs années à Paris et s'y est senti, en tant que Français d'origine immigrée, "plus libre". Les Corses "se sentent forts", avance ce jardinier de 31 ans, qui a l'impression de vivre un "apartheid", notamment dans l'accès à l'emploi, où les "Corses ethniques" sont selon lui favorisés. Pourtant, "nous aussi, on est chez nous", souligne-t-il.
Au pied d'un immeuble, un petit groupe de Corses d'origine maghrébine discutent de la situation. Pour ces hommes, le vrai problème est la situation sociale du quartier. "Ca fait longtemps qu'on est abandonnés. Rien ne change. Il n'y a pas de salle de sport, pas d'associations, les gens sont enfermés", regrette Redouane. "Le +Corse intellectuel de souche+ aime sa langue, son pays, mais il nous respecte", analyse cet homme de 42 ans. Les auteurs des débordements, eux, "se servent du racisme pour se faire une identité corse".
Très loin des slogans haineux entendus lors des manifestations, plusieurs Corses rencontrés, pour certains nationalistes, condamnent d'ailleurs sans réserve le racisme, et déplorent amèrement l'image donnée de leur île et des 1.700 habitants de leur quartier. "C'est pas un ghetto, c'est pas les cités françaises de Marseille. On a toujours bien vécu avec eux", souligne Antoine, un retraité propriétaire dans la cité.
"En Corse, on est une île, on a toujours été une terre d'immigration. On n'a pas de sens raciste", veut croire ce fervent nationaliste, assis dans un salon modeste, dont le seul luxe est une superbe vue sur l'azur de la baie d'Ajaccio, baignée d'un soleil d'hiver.
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