Colombie : une grève nationale qui prend le virage d'une "pré-révolution"

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FranceSoir
Publié le 29 avril 2021 - 20:04
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Manifestation en Colombie
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Juan BARRETO / AFP
Une loi de trop, c'est la goutte d'eau.
Juan BARRETO / AFP

Ce mercredi 28 avril, le coeur de la "Paro Nacional" (une série de manifestations initiée en 2019 par le peuple colombien) battait son plein.

Et pour cause, le peuple colombien souffre d'une situation sanitaire et économique gravissime. Majoritairement composé de quartiers populaires, le pays est touché par une montagne de problèmes, causés notamment par les décisions du gouvernement. Après que le Covid-19 a frappé la Colombie, c'est la stratégie du confinement strict qui a été choisie, dessinant une ligne de départ vers la chute libre. Aujourd'hui, un an plus tard, selon les mots d'une informatrice qui est sur place, une immense partie des Colombiens vit grâce à l'économie informelle, vendant jour après jour ce qu'ils peuvent pour survivre (fruits, cafés, pêche du jour, etc). La dynamique économique induite par la pandémie empêche de nombreux foyers de se nourrir convenablement. Par ailleurs, ils n'arrivent plus à sortir travailler pour le gagne-pain quotidien, du fait des confinements successifs, couplés au tourisme qui est devenu inexistant. Ne bénéficiant pas d'aides sociales, tous doivent payer leurs médicaments au prix coûtant, en pleine crise sanitaire. Les prix ayant augmenté, même parmi ceux qui travaillent, beaucoup peinent à se nourrir, à payer leur loyer, l'électricité, etc. Les plus jeunes d'entre eux, depuis un an, ne bénéficient d'aucune instruction, ou très sporadique. Seule l'instruction visuelle est proposée, mais beaucoup ne peuvent pas s'offrir l'accès à Internet. Cerise sur le gâteau, le gouvernement fait passer une réforme tributaire afin d'augmenter les taxes sur les produits de première nécessité, ainsi que l'essence. Peut-on être plus pauvre que pauvre ?

Résultat, le peuple se soulève et cela ressemble à une "pré-révolution" causée par une situation "tragique". La révolte colombienne était latente depuis longtemps déjà, et les manquements du gouvernement d'Iván Duque commençaient à se faire nombreux : assassinats de guérilleros qui se poursuivent même après un accord de paix ; assassinats de leaders sociaux ; utilisation de l'armée pour espionner politiciens, journalistes et juges ; bombardements militaires meurtriers ; fracturation hydraulique du pays ; et enfin utilisation abusive de la force par la police lors des manifestations de 2019-2020. À la colère s'ajoute donc la faim et la peur d'un peuple en détresse. Pour couronner le tout, la maire de Bogotá annoncait quelques jours avant dans un discours que "les deux prochaines semaines seront les plus difficiles de la vie des Colombiens. Pas de la pandémie, mais de notre vie", invoquant maintes fois le mot "sacrifice" tout au long de sa prise de parole. Elle ajoute également que les marches du peuple sont un "attentat à la vie".

C'est dans cette ambiance chaotique que Colombiennes et Colombiens sont sortis pour mettre en place des barages logistiques et bloquer les routes, l'objectif étant de bloquer le pays pour forcer la sphère décisionnaire à changer les choses, ou tout simplement d'appeler à l'aide. Malgré les interdictions de sortie, l'augmentation du nombre de cas de Covid-19, ainsi que le risque d'emprisonnement allant de quatre à dix ans pour "mise en danger d'autrui", les médias officiels relèvent plus de trois millions de Colombiens dans les rues le 28 avril, pour un pays qui en compte 49 millions. Leurs mots d'ordre : "Ahora o nunca", "Si la ley sigue, el paro sigue". ["Maintenant ou jamais", "Si la loi continue, la grève continue"].

"Si un pueblo protesta y marcha en medio de una pandemia, es por qué su gobierno es más peligroso que el virus."

Si un peuple manifeste et marche en pleine pandémie, c'est parce que son gouvernement est plus dangereux que le virus.

À Calí comme à Bogotá ou à Medellín, la tension est rapidement montée. Dès 8h30, les premières arrestations ont lieu. À 9h, les affrontements entre la police et le peuple sont engagés. Comme à chaque fois, le pouvoir sort son arsenal et les manifestants se font entendre comme ils peuvent. Des véhicules sont incendiés, des banques sont vandalisées, des supermarchés pillés, des postes de police attaqués, une statue de colon déboulonnée par les indigènes (Koguis, Arhuacos, Wayu...), descendus eux aussi de leur montagne pour protester. Le désespoir parle de lui-même.

Images de la manifestion le 28 avril :

Malgré le fait que le peuple soit officiellement considéré comme "mettant en danger la vie d'autrui" et que le gouvernement ait annoncé un confinement draconien pendant quatre jours, des millions de Colombiens semblent prêts à faire durer la grève et la protestation. El "Paro Nacional" se poursuivait aujourd'hui :

Si le ministre de la Défense Diego Molano déplore 44 blessés au sein des effectifs de police (parmi 1300 déploiements), ce qui fait grand bruit du côté du peuple, ce sont aussi les infiltrations de l'armée au sein des protestations. HackerFiscalia serait notamment parvenu a dérober des documents officiels provenant de l'armée nationale montrant que les infiltrations avaient été commanditées et préparées une semaine à l'avance, le 21 avril. Il en parle en vidéo et met les documents en question à disposition du public :

Une fois de plus, les événements sont plus que riches à l'étranger, et nous devrions peut-être nous en préoccuper. Rappelons que le mouvement français des Gilets jaunes avait lui aussi commencé suite à une accumulation de colère, ponctuée par la loi de trop. Sur le prix du pétrole ou sur la fiscalité, c'est la goutte d'eau.

Et ici, personne n'en parle.

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