Conflit dans le Donbass en Ukraine : une résolution pacifique est-elle encore possible ?

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Anne Philippe, pour FranceSoir
Publié le 30 novembre 2021 - 18:32
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Ukraine Minsk 2015
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CLEMENS BILAN / POOL / AFP
(G-D) En 2015, réunion des ministres des Affaires étrangères français, ukrainien, allemand et russe pour la mise en place des accords de Minsk.
CLEMENS BILAN / POOL / AFP

CHRONIQUE — Alors que le pays sombre dans les difficultés économiques et que la tentation belliqueuse de Kiev dans le Donbass s’affiche, les accords de Minsk semblent dans l’impasse. L’absence d’empressement pour régler la terrible situation des républiques populaires de Donetsk et Lougansk trouve un écho dans la volonté de l’OTAN de faire perdurer un conflit aux portes de la Russie et de militariser la région (notamment la mer Noire).

I – Format Normandie et accords de Minsk dans l’impasse

1. Historique du format Normandie et des accords de Minsk

Le format Normandie a été mis en place en juin 2014, lors d’une réunion semi-formelle organisée en marge des festivités consacrées au 70ᵉ anniversaire du Débarquement. Ce premier sommet a conduit aux accords de Minsk destinés à trouver une solution pacifique dans l’est de l’Ukraine.

D’après les accords de Minsk signés le 12 février 2015, la France, l’Allemagne et la Russie s’engagent à servir de médiateurs et Kiev s’engage à accorder un statut spécial aux régions de Donetsk et de Lougansk après la tenue d’élections locales dans le Donbass conformément aux lois ukrainiennes et sous contrôle d’observateurs internationaux. Le dernier sommet en date au format Normandie a eu lieu à Paris le 9 décembre 2019. Kiev n’a toujours pas mis en œuvre, à ce jour, la « formule Steinmeier », qui définit le mécanisme de mise en œuvre progressive de ces accords.

2. Retards, blocages et remise en cause des accords signés

Le site de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC), ONG progouvernementale ukrainienne financée par l’agence gouvernementale américaine USAID, a publié les propos du vice-Premier ministre pour la réintégration des territoires temporairement occupés de l’Ukraine qui affirme que les accords de Minsk sont un « accord politique, pas un acte juridique ». D’après l’UCMC, ce protocole de paix est nul et non avenu.

3. Appels de la Russie à faire pression sur Kiev pour l’application des accords signés

Face à un conflit qui a déjà fait 13 000 morts depuis 2014 et à des combats qui reprennent, la Russie ne cesse de lancer des appels pour la mise en place des accords de Minsk. Il est à rappeler que la majorité des habitants des républiques de Donetsk et Lougansk ont également la nationalité russe. La Russie pense qu’une solution à la crise ukrainienne pourrait être trouvée si la France, l’Allemagne et les États-Unis faisaient pression sur Kiev afin de l’inciter à respecter les accords signés.

- Appels à la France et à l’Allemagne : suite à la politique de Kiev qui place les négociations dans une impasse, le gouvernement russe ne cesse d’appeler à ne pas abandonner les efforts de médiation dans le format Normandie, faute d’alternative. Face à la désinformation liée à la non tenue d’une rencontre dans le format Normandie le 15 novembre 2021 et à l’absence de volonté des autres interlocuteurs de lui donner « un sens concret », Moscou a publié sa correspondance avec Berlin et Paris, montrant que la Russie préfère traiter du fond de l’affaire qui est prioritaire sur les arrangements protocolaires. Ces échanges diplomatiques prouvent que Paris et Berlin ne sont pas enclins à pousser Kiev à respecter les accords signés et notamment à instaurer un dialogue direct entre le gouvernement de Volodymyr Zelensky, Donetsk et Lougansk, les capitales des provinces russophones du Donbass, à l’est du pays.

- Appels aux États-Unis : après une courte lueur d’espoir suite à la déclaration de la porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, qui a approuvé la déclaration de Vladimir Poutine sur la résolution pacifique du conflit du Donbass mi-novembre 2021, les éternels discours russophobes de l'OTAN ont repris.

II — Ukraine et ingérence de l’OTAN

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, agite, en cette fin novembre 2021, un projet d’invasion fomenté par Moscou, déclaration qui ne masque qu’un pâle justificatif de l’ingérence de l’OTAN dans les affaires internes ukrainiennes.

1. Coup d’État de 2014 et implication nazie

Le coup d’État en Ukraine du 22 février 2014 a vu l’éviction du président Viktor Ianoukovitch. Ce coup d’État a été réalisé en collaboration avec des milices néonazies lourdement armées (Secteur Droit, Azov, Svoboda). Ces fractions n’ont pas hésité, en mai 2014 à Odessa, à participer à un massacre de masse (45 personnes brûlées vives) sans être sanctionnées. Le gouvernement actuel ukrainien inclut encore des forces célébrant ouvertement le nazisme, ce qui a poussé l’Ukraine et ses principaux sponsors (USA et Canada) à voter aux Nations-Unis « contre » une résolution condamnant la glorification du nazisme (l’Union européenne s’est abstenue). La révolution ukrainienne a été soutenue massivement par la diplomatie américaine.

2. Méfiance autour du gouvernement Biden et de ses relations antérieures avec l’Ukraine

Ce n’est pas un hasard si le conflit dans le Donbass s’est rallumé sous l’administration Biden. En effet, de nombreux membres du gouvernement, de l’administration et autres organes sont liés au dossier ukrainien et notamment au coup d’État de 2014, qui aurait coûté cinq milliards de dollars aux États-Unis.

- Victoria Nuland, alors secrétaire d’État assistante pour l’Europe et l’Eurasie, et actuelle sous-secrétaire d’État pour les affaires politiques, est l’incarnation du coup d’État sanglant (des milliers de civils ont trouvé la mort) mené par les États-Unis contre le gouvernement démocratiquement élu en 2014 (planification des attaques, discussions de qui prendrait le pouvoir…)
- Durant la « révolution » colorée de Maïdan (2013-2014), Joe Biden alors vice-président, a pris fait et cause pour les néonazis qui étaient des agents « stay-behind » de l’OTAN, opération qu’il dirigea avec Victoria Nuland en s’appuyant sur l’ambassadeur US à Kiev de l’époque, Geoffrey Pyatt, actuellement en poste à Athènes (Grèce).
- L’actuel secrétaire d’État du gouvernement Biden, Antony Blinken, serait d’origine ukrainienne par sa mère et a également participé au putsch de la Place Maïdan, en tant que vice-conseiller de la sécurité nationale dans l’administration Obama.
- Hunter Biden, fils du président américain, a été nommé le 13 mai 2014 par la société Burisma Holdings, première compagnie d’exploitation du gaz ukrainien, à son conseil d’administration. Burisma Holdings est une compagnie très secrète. Elle est enregistrée à Chypre depuis la « révolution orange ». Elle aurait acquis la plupart des sociétés gazières ukrainiennes. Selon l’Anticorruption Action Center, Burisma Holdings appartiendrait depuis 2011 à Ihor Kolomoïsky. Ce dernier aurait financé notamment les troupes d’assaut impliquées le 2 mai 2014 dans les massacres d’Odessa. Hunter Biden est soupçonné de corruption en lien avec son poste dans cette société comme il l’a, lui-même, confirmé lors d’une interview de CBS début avril 2021 à l’occasion de la parution de son livre « Beautiful Things ». Plusieurs fichiers attestant d’une vaste affaire de corruption auraient été trouvés dans un de ses ordinateurs personnels saisis par le FBI.
- L’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) qui est le bras financier de la politique étrangère US pour les changements de régime, est toujours aux côtés de l’administration Zelensky.

3. Manœuvres de l’OTAN aux frontières de la Russie et aides militaires

- Non-respect des accords signés par l’OTAN sur son élargissement à l’Est

En violation avec leur promesse lors de la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’URSS, les États-Unis ont fait rentrer dans l’OTAN, un à un, presque tous les anciens membres du Pacte de Varsovie. Kiev a émis le souhait de rejoindre l’alliance ce qui représente une ligne rouge pour la Russie. Cette volonté de se détourner de la Russie à pousser la Crimée, qui est historiquement russe, a proclamé son indépendance via un référendum et son rattachement à la Fédération de Russie, notamment pour éviter d’être attaquée par les bataillons néonazis de Kiev comme le Donbass.

- Les manœuvres dont celles en mer Noire mènent à une réaction de la Russie

Les États-Unis ont organisé, au printemps 2021, en partenariat avec l’OTAN des manœuvres de plusieurs mois avec le déploiement d’hommes et de matériel pour simuler un affrontement avec la Russie. À ceci, s’est rajouté un exercice de bombardiers nucléaires en Grèce en présence de l’ambassadeur US Geoffrey Pyatt, cité auparavant.

Face aux menaces de l’OTAN à sa frontière occidentale, la Russie a déployé des moyens militaires sur son territoire. Avec des exercices militaires « imprévus » menés par Washington et l’OTAN en mer Noire, on note une escalade dangereuse dans la région.

- Résumé des aides militaires de l’OTAN à l’Ukraine

- États-Unis, avec l’armée ukrainienne qui bénéficie de l’aide de Washington à raison de 250 à 400 millions de dollars US par an. À cette manne financière s’ajoute la livraison de missiles anti-chars, de patrouilleurs… Ces subventions étaient, en autres, en échange de l’engagement ukrainien contre le projet Nord Stream 2.
- Royaume-Uni, avec l’assistance à la modernisation de la flotte ukrainienne.
- Turquie qui, outre la livraison de drones (qui sont interdits aux parties prenantes du conflit dans la région du Donbass d’après les accords de Minsk), achemine des jihadistes du Nord-Ouest de la Syrie en Ukraine dans le cadre d’une déstabilisation du Donbass. À ceci s’ajoute 150 soldats de l’armée régulière turque qui sont arrivés à Marioupol (Ukraine) pour encadrer ces jihadistes, Marioupol, étant le siège de la Brigade islamique internationale que la Turquie a créée avec les Tatars de Crimée.

À ces aides militaires de l’OTAN, s’ajoute les relations « dites commerciales » avec le Qatar dont les liens troubles avec les jihadistes et Daesh posent questions.

En conclusion, au-delà de la façade alarmiste qui sert à masquer les problèmes internes du pays et de l’ingérence de l’OTAN dans ses affaires intérieures, Kiev devrait privilégier un dialogue direct avec Lougansk et Donetsk afin de mettre en place concrètement les accords de Minsk. L’Ukraine ne peut ignorer sa double culture occidentale et russe qu’elle ne doit pas nier au risque d’exclure une partie significative de son peuple et faire obstacle à la démocratie.


Sources principales : Les Echos (Yves Bourdillon, AFP), Sputnik France (Youlia Zvantsova, Julia Belyakova, Maxime Perrotin, Dmitri Bassenko), Mondialisation.ca (Ron Paul, Giuletto Chiesa, Paul Moreira), Réseau Voltaire (Thierry Meyssan).

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