Déclarations de Lu Shaye sur les pays de l’ex-URSS : des ambassadeurs de Chine convoqués dans plusieurs pays européens, Pékin affirme son “respect à leur souveraineté”
DIPLOMATIE - La Chine est dans l’embarras. Les déclarations de son ambassadeur à Paris, Lu Shaye, sur l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et le statut “non effectif” des pays de l’ex-Union Soviétique au regard du droit international, provoquent un tollé en Europe. Le Quai d’Orsay comme la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie ont convoqué les ambassadeurs chinois et Pékin a vite affirmé son “respect” à la “souveraineté” de ces États. Emmanuel Macron, qui prônait encore à la mi-avril une médiation chinoise dans le conflit ukrainien, a repris Lu Shaye de volée.
Invité vendredi 21 avril 2023 de la chaîne LCI, l’ambassadeur de Chine à Paris, Lu Shaye, habitué à faire des déclarations polémiques, a cette fois-ci mis à mal la position officielle chinoise sur la guerre en Ukraine. Interrogé si la Crimée était toujours une terre ukrainienne au regard du droit international, le diplomate a répondu, avec un rire nerveux, que “cela dépend comment percevoir ce problème”.
Soucieux, visiblement, de ne pas contredire le récit officiel chinois quant à l’appartenance historique de Taïwan à la Chine, sur lequel il a été interrogé quelques minutes auparavant, il évoque “l’histoire” de la Crimée, “qui était au tout début à la Russie”. “Khrouchtchev l’a offerte à l’Ukraine durant la période soviétique”, a-t-il ajouté, avant d’être coupé et relancé par le journaliste Darius Rochebin.
Obligé de répondre à la question, Lu Shaye enfonce le clou. “Selon le droit international, même ces pays de l’ex-Union Soviétique n'ont pas un statut effectif parce qu'il n'y a pas des accords internationaux qui concrétisent leurs statuts de pays souverains (...) Il ne faut pas chicaner sur ce genre de problème. Le plus important est de réaliser un cessez-le-feu (...) Y a des problèmes de tenants et d'aboutissants”, s’est-il expliqué.
Ambassadeurs de Chine convoqués, Pékin calme le jeu
Les réactions, européennes notamment, à cette déclaration ne se sont pas faites attendre. Les pays concernés, baltiques notamment, ont vite exigé des explications de la part de la Chine. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont exprimé leur irritation face à des propos "totalement inacceptables" de l’ambassadeur de Chine en France. "Tout d'abord, c'est totalement inacceptable", a déclaré le Lituanien Gabrielius Landsbergis. "Nous ne sommes pas des pays post-soviétiques, nous sommes des pays qui ont été illégalement occupés par l'Union soviétique." Il a souligné le parallèle entre les commentaires de Lu Shaye et la position officielle russe sur la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Ukraine. “Ce sont des récits que nous entendons de la part de Moscou. Et maintenant, ils sont diffusés par un autre pays qui est, à nos yeux, un allié de Moscou dans de nombreux cas - si ce n'est militairement, du moins politiquement", a-t-il ajouté.
L’Estonie a réagi par la voix de son ministre des Affaires étrangères, exigeant des explications de la part de Pékin. Son homologue letton, Edgars Rinkēvičs a demandé une "rétractation complète". Les trois États baltes ont fait part de leur intention de convoquer lundi 24 avril les ambassadeurs chinois pour "demander des éclaircissements". La France leur a emboîté le pas.
Le Quai d’Orsay a convoqué le diplomate, via le cabinet de la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, pour l'appeler “à faire un usage de sa parole publique de manière à être conforme avec les positions officielles de son pays”. “S’agissant plus particulièrement de l’Ukraine, elle a été reconnue internationalement dans ses frontières incluant la Crimée, par la totalité de la communauté internationale, Chine comprise, à la chute de l’URSS comme nouvel État membre des Nations unies. La Chine a reconnu par ailleurs la validité du mémorandum de Budapest du 4 décembre 1994, en publiant le même jour une déclaration nationale apportant à l’Ukraine des garanties de sécurité”, lit-on.
Le communiqué a déploré “le caractère inacceptable de la remise en cause du respect de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité territoriale de tous les États, principes fondamentaux de la Charte des Nations unies, qui s'impose à tous”.
Le ministère français des Affaires étrangères a d’ailleurs fait part de sa "consternation", exprimant sa “pleine solidarité avec l'ensemble de nos alliés et partenaires concernés, qui ont conquis une indépendance longtemps attendue après des décennies d'oppression”. Emmanuel Macron a également réagi à Ostende, en Belgique, lors de sa présence au Sommet de la mer du Nord, condamnant les propos de Lu Shaye. “Ce n'est pas la place d'un diplomate de tenir ce type de langage”, a-t-il indiqué, exprimant à son tour sa “pleine solidarité aux pays qui ont été attaqués dans la lecture de leur histoire et leurs frontières”.
Josep Borrel, le chef de la diplomatie européenne, a aussi condamné les propos de l’ambassadeur chinois et exprimé sa solidarité avec les pays baltes.
Ces réactions en cascade ont poussé la Chine à réagir pour se désolidariser de son ambassadeur. Pékin a réaffirmé, par la voix de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mao Ning, son “respect” au "statut d'Etat souverain" des pays de l'ex-URSS. Quant à l'ambassade de Chine en France, un communiqué a précisé que les propos de l'ambassadeur n'étaient pas une "déclaration politique, mais l'expression d'opinions personnelles lors d'un débat télévisé" et qu'ils "ne devaient pas être surinterprétés".
“C’est la Chine, la victime”
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Chine a maintes fois appelé à un cessez-le-feu et proposé un plan de paix. Un appel réitéré vendredi par son ambassadeur à Paris sur le plateau de LCI. Pékin, qui n’a jamais exprimé son soutien à la Russie, n’a pas non plus condamné Moscou s’est toujours abstenu lors des votes à l’Assemblée générale de l’ONU.
Les déclarations de Lu Shaye, parfaitement conformes à la position officielle russe, mettent ainsi Pékin dans l’embarras. Depuis plusieurs semaines, la Chine est appelée à jouer un rôle de médiateur dans la guerre en Ukraine. Lors de sa visite, le chef de l’Elysée avait salué la “volonté” de ce pays de “bâtir un chemin vers la paix” "La Chine, précisément forte de sa relation étroite avec la Russie, encore réaffirmée ces derniers jours, peut jouer un rôle majeur", avait estimé Macron.
"La Chine justement a proposé un plan de paix (...) Il s'agit bien d'une volonté d'avoir une responsabilité et d'essayer de bâtir un chemin vers la paix", a-t-il ajouté. C’est dans le cadre de sa visite que le président français avait appelé l’Union européenne (UE) à ne pas être “suiviste” de Washington sur la question de Taïwan. Cet appel a provoqué une levée de boucliers en Europe comme aux États-Unis, après avoir été interprété comme une “tentation” à Xi Jinping “à agresser Taïwan”. La Chine lançait d’ailleurs des exercices militaires au large de Taïwan dès le départ de Macron.
Lors de son entretien sur LCI, l’ambassadeur de Chine à Paris, Lu Shaye, a réitéré la position officielle chinoise. Il a ainsi affirmé que “c’est la Chine qui est victime de sécessionnistes”. “C'est le peuple chinois qui décide du destin de Taïwan, qui fait partie intégrante du territoire chinois depuis l'Antiquité (...) Les deux rives du détroit de Taïwan appartiennent à la même et unique Chine. Telle est l'Histoire", celle-là même sur laquelle il s’est basé pour exprimer son “opinion personnelle” sur la Crimée et les pays de l’ex-Union Soviétique .
"Le retour de Taïwan à la Chine est une composante de l'ordre international d'après-guerre (...) Pousser Taïwan vers l'indépendance, c'est saboter l'ordre d'après-guerre (...) Si l'on ne peut pas réaliser cet objectif de réunification de la patrie par des moyens pacifiques, on peut avoir recours à d'autres moyens", a menacé Lu Shaye.
Il ne s’agit pas de la première fois que le diplomate tient des propos polémiques. En avril 2020, il a accusé le personnel soignant des Ehpad d'avoir “abandonné au début de la pandémie de Covid-19 en France leurs postes du jour au lendemain (...) laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie”. A peine une année plus tard, en mars 2021, il critique chercheur français Antoine Bondaz en le qualifiant de “petite frappe” et de “hyène folle”.
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