Kim Jong-un en Russie pour s’entretenir avec Vladimir Poutine à propos de "sujets sensibles", des pays occidentaux craignent un accord d’armement
GÉOPOLITIQUE - Quatre ans après sa dernière visite officielle, Kim Jong-un est de retour en Russie. Pour son premier voyage à l’étranger depuis la fermeture des frontières au début de la pandémie de Covid-19, le dirigeant nord-coréen a quitté la capitale Pyongyang dimanche pour atteindre hier mardi l’extrême orient de la Russie. Kim Jong-un doit s’entretenir avec le président russe Vladimir Poutine à propos de "sujets sensibles" et ces prochains échanges suscitent des inquiétudes occidentales.
Selon les images de l'agence russe Ria Novosti, Kim Jong-un est arrivé à bord de sa "forteresse ambulante", son train blindé aux wagons verts. Il est accompagné de hauts responsables, comme son chef de la Défense, son ministre des Affaires étrangères et des responsables de la production d'armes et de la technologie spatiale, apprend-on auprès des médias officiels.
Armes contre technologies nucléaires
Avant un sommet politique prévu dans les prochains jours, le dirigeant nord-coréen s’est entretenu aujourd'hui avec son homologue russe lors d'une visite des installations spatiales de Vostotchny, dans la région de l'Amour. Si le programme de leur rencontre n'a pas été précisé, les deux hommes ont échangé à propos de technologie satellitaire et de recherche spatiale.
Kim Jong-un a déjà assisté auparavant à un forum économique à Vladivostok, au nord-est de la frontière avec la Corée du Nord. Un rendez-vous auquel ont participé des délégations étrangères issues de pays de la région, comme celles de la Chine ou encore la Birmanie.
La rencontre de Poutine avec Kim s'est finalement déroulée en marge de ce sommet économique en raison des sujets qui seront évoqués, qualifiés de "sensibles" par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
La présence de plusieurs hauts fonctionnaires chargés des différents programmes militaires nord-coréens a mis la puce à l’oreille des observateurs et des pays occidentaux, dont les États-Unis en premier lieu, qui s'attendent à ce qu'un accord d’armement soit au cœur des échanges entre les deux dirigeants.
Moscou souhaiterait acquérir des obus et des missiles antichars auprès de son voisin de l’extrême sud-est. En contrepartie, Pyongyang, qui subit de nombreuses sanctions commerciales, économiques et financières, notamment américaines, souhaiterait obtenir des produits énergétiques, une aide alimentaire et médicale mais surtout des technologies de pointe dans les domaines des satellites et des sous-marins à propulsion nucléaire.
Leif-Eric Easley, professeur à l'Université Ewha de Séoul, souligne que "la Corée du Nord dispose des munitions dont Poutine a besoin" pour la guerre en Ukraine et Moscou "a les technologies sous-marines, balistiques et satellitaires qui peuvent aider Pyongyang à surmonter les défis d'ingénierie imposés par les sanctions économiques".
Le sommet est aussi attendu par les deux pays que redouté par les Occidentaux, particulièrement Washington, ennemi commun à la Russie et la Corée du Nord. Le Kremlin a d’ailleurs ignoré les mises en garde des États-Unis. "En bâtissant nos relations avec nos voisins, y compris la Corée du Nord, l'important pour nous est l'intérêt de nos deux pays, et pas les mises en garde" des USA, a déclaré Dmitri Peskov.
Inquiétude chez les pays occidentaux
L'Oncle Sam craint qu'un approvisionnement de Moscou en armes par Pyongyang lui permette de poursuivre ses opérations militaires en Ukraine, au moment où le président ukrainien Volodymyr Zelensky reconnaît que la Russie est en train de stopper la contre-offensive de Kiev.
Mais les enjeux vont au-delà de ce conflit. En dotant la Corée du Nord de technologies de pointe dans le domaine des satellites et des sous-marins, Poutine espère démontrer à Joe Biden sa capacité à menacer la stabilité, chère à Washington, de la péninsule coréenne. La Corée du Sud est tout aussi visée selon Andreï Lankov, un expert de la Corée du Nord à l'université Kookmin de Séoul, puisqu'un tel sommet entre Moscou et Pyongyang viserait à dissuader la Corée du Sud, important exportateur d'équipements militaires, à fournir des armes à l'Ukraine.
Une éventuelle livraison de technologies nucléaires en contrepartie d’armes nord-coréennes n’est toutefois pas sans danger pour la Russie et son président, déjà visé par un mandat de la Cour pénale internationale pour "crimes de guerre". "La Russie violerait les résolutions des Nations unies en important des armes du pays, et deviendrait ouvertement un ‘pays proliférateur’. Ce serait un risque diplomatique majeur, qui ternirait encore plus son image et serait difficile à expliquer à ses partenaires", estime Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, enseignant à Sciences Po et directeur de l’Observatoire du multilatéralisme en Indo-Pacifique.
En outre, l’importation d’équipements militaires par la Russie, "qui prétend être la deuxième puissance militaire mondiale serait un aveu de faiblesse". Son avis est partagé par Paris dans sa réaction à la visite de Kim Jong-un. La porte-parole du ministère français des Affaires étrangères estime que la venue du dirigeant nord-coréen démontre un "isolement de Moscou sur la scène internationale". "La Russie est isolée au point d’être contrainte de se tourner vers la Corée du Nord (...) C’est une marque très forte de son isolement à l’international", a déclaré Anne-Claire Legendre.
Il ne s'agit pourtant pas de la première rencontre de Vladimir Poutine avec Kim Jong-un. Les deux dirigeants se sont déjà rencontrés en 2019, pour évoquer la dénucléarisation de la Corée du Nord et les sanctions américaines. Le dernier sommet entre les deux pays s'est déroulé en 2011, entre le père de Jong-un, Kim Jong-il et Dmitri Medvedev. Les liens entre les deux pays sont aussi historiques et Kim Jong-un a maintes fois fait part à Moscou de son soutien dans son conflit contre l’Ukraine.
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