La Retirada, l'exil français des républicains espagnols
La guerre d'Espagne (1936-1939) a jeté sur les routes de l'exil des centaines de milliers de réfugiés espagnols qui se sont majoritaiment exilés en France lors de la Retirada. Grégory Tuban, historien de cette période, revient sur cet afflux massif de réfugiés dans le sud-ouest de la France à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.
1er avril 1939: la guerre civile espagnole prend fin. Les nationalistes dirigés par le général Francisco Franco, soutenus par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, ont vaincu les républicains. Depuis le mois de février et les derniers soubresauts de la guerre en Catalogne, des milliers d’Espagnols prennent le chemin de l’exil pour fuir les combats et la sanglante répression des franquistes. Cet exode est connu sous le nom de Retirada.
"C’est en fait le quatrième exode de la guerre d’Espagne vers la France et l’avant dernier puisqu’en mars 1939 des réfugiés vont quitter les côtes du Levant espagnol vers l’Afrique du nord. Il est numériquement et symboliquement le plus important", précise à France-Soir, l'historien Grégory Tuban, auteur de Camps d'étrangers: le contrôle des réfugiés venus d'Espagne, 1939-1944 (Ed. Nouveau Monde).
On estime à 500.000 le nombre d'Espagnols à prendre la route de l'exil entre la fin janvier et la mi-février 1939, l'armée républicaine en déroute se mêlant aux civils qui fuient les combats et la répression. "La frontière le long des Pyrénées-Orientales est ouverte aux civils et aux blessés dans la nuit du 27 au 28 janvier puis dans celle du 5 au 6 février aux militaires", souligne Grégory Tuban. Le passage des cols enneigés est extrêmement difficile pour une population affaiblie par trois ans de guerre et soumise aux bombardements des aviations franquistes et italiennes. Les nationalistes espagnols verrouillent définitivement la frontière le 13 février, les passages se font alors clandestinement.
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En France, l'arrivée massive de ces réfugiés provoquent un gigantesque chaos: "L’exode depuis la Catalogne était attendu. Les autorités françaises avaient d’ailleurs prévu l’installation de camps dans les Pyrénées-Orientales dès le printemps 1938 mais elles ont été dépassées par la soudaineté de cet exode alors sans précédent", explique Gregory Tuban qui précise que "toutes les structures prévues se sont relevées insuffisantes face au nombre d’exilés". L'armée française est donc mobilisée pour construire à la hâte des camps de fortune le long de la frontière. Ainsi débute la vie concentrationnaire des réfugiés espagnols qui seront répartis dans plus de 70 départements français, en grande majorité dans le grand Sud-Ouest.
Des camps dans lesquels les républicains espagnols vivent dans des conditions "dantesques". Et pour cause, si certains d'entre eux ne disposent d'aucune structure d'hébergements, d'autres, mieux équipés, sont très vite engorgés. "Les réfugiés dormaient à la belle étoile ou dans des abris de fortune en pleine montagne ou sur les plages de Saint-Cyprien et d’Argelès-sur-Mer où il a fallu attendre le printemps pour que les premières baraques soient construites", détaille l'historien.
L'arrivée de ces réfugiés en France provoque des remous au sein de la classe politique française qui ne sont pas sans rappeler ceux de la guerre d'Espagne, si la gauche s'insurge contre la médiocrité de la prise en charge des réfugiés, la droite fustige l'arrivée sur le territoire des "rouges". Comme l'explique Grégory Tuban: "ce débat clivait aussi plus largement l’opinion publique autour de la représentation, ou non, de la figure de «l’étranger indésirable»".
Avec le début du second conflit mondial, les réfugiés espagnols sont rattrapés par la guerre. Si certains parviennent à fuir en Amérique du Sud, "l’essentiel des réfugiés ont eu à connaître des politiques d’exclusion à travers les camps ou le travail obligatoire, voire de répression comme les prestataires et les engagés de l’armée françaises capturés par les Allemands et envoyés dès l’été 1940 dans les camps nazis en tant qu’apatrides". Engagés en nombre dans la Résistance intérieure, ainsi que dans les Forces françaises libres, les Espagnols ont grandement participé à la Libération.
Néanmoins, "bien qu’ils aient participé au combat contre l’Axe, les réfugiés espagnols ne tireront pas de bénéfices de cette victoire morale puisque le régime de Franco, officiellement neutre bien qu’allié d’Hitler, survivra à la Seconde Guerre mondiale" précise Grégory Tuban. On assiste à l'enracinement de nombreuses communautés de réfugiés dans le sud, notamment à Toulouse "souvent présentée comme la capitale de l’exil républicain espagnol".
Ce n'est finalement qu'après la mort de Franco en 1975 que s'opèrent les retours en Espagne d'une partie des réfugiés, essentiellement ceux qui "sont entrés relativement jeunes en France. Ceux plus âgés sont donc majoritairement morts en exil soit en tant qu’Espagnols soit en ayant été naturalisés". Comme le souligne Grégory Tuban, "il n’existe pas de statistiques sur le nombre de ces retours, du fait que les réfugiés politiques de la Guerre d’Espagne se mêlent aux réfugiés économiques venus d’Espagne avant ou après le conflit, mais l’essentiel de ces derniers s’opèrent à la fin des années 1970 et dans les années 1980".
Quatre-vingt ans après la fin de la guerre civile espagnole, la mémoire de la Retirada est encore vive dans le sud de la France où elle a refait surface à partir des années 1980 après avoir été un sujet tabou. "Ce 80e anniversaire a ainsi été «célébré» à l’échelle de toute la région Occitanie dans des proportions encore jamais vues", explique Grégory Turan qui ajoute que cette mémoire reste un sujet sensible de l'autre côté des Pyrénées. En effet, elle "touche à l’histoire de la République, de la guerre et du franquisme", ce qui provoque encore d'importants remous au sein de la société espagnole comme en témoigne la polémique liée à l'exhumation de la dépouille de Franco de son mausolée de Valle de Los Caidos qui doit intervenir à la mi-juin.
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