Le patrimoine européen de la culture : facteur d’unité ou de division ?

Auteur(s)
Catherine Lalumière, président de la Maison de l'Europe de Paris
Publié le 11 avril 2018 - 17:10
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Les drapeaux européens.
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©Ludovic Marin/AFP
Catherine Lalumière: "mosaïque, diversité, multiculturalisme, interculturalité, tout cela constitue des caractéristiques de l’Europe dont on se félicite et que l’on apprécie"
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(Cet article a été rédigé par Catherine Lalumière, présidente de La Maison de l'Europe de Paris, partenaire de France-Soir) A l’occasion de notre 100ème article pour la rubrique «l’Europe au quotidien» en collaboration avec France-Soir, nous avons choisi de célébrer le patrimoine européen de la culture qui est également le thème de l’année 2018. Ce patrimoine –fort riche– est-il facteur d’unité ou, au contraire, cette richesse foisonnante est-elle facteur de division?

On a souvent souligné la mosaïque des cultures qui caractérise l’Europe. C’est cette diversité qui fait sa richesse et son charme. Et nombreux sont ceux qui soulignent l’originalité culturelle de nos différents pays, de nos régions et de nos villes, ou, si l’on abandonne le terrain des territoires, nombreuses sont les communautés qui se définissent par leurs caractéristiques culturelles propres.

Mosaïque, diversité, multiculturalisme, interculturalité, tout cela constitue des caractéristiques de l’Europe dont on se félicite et que l’on apprécie.

Mais, en même temps, ces caractéristiques sont parfois présentées comme un argument contre la construction d’une Europe unie. Comment voulez-vous bâtir une Union européenne quand les groupes sociaux ou les groupes nationaux sont si différents les uns des autres? Histoires différentes, langues différentes, opinions différentes, tout cela semble favoriser les forces centrifuges, et fort peu les forces centripètes. En outre, si d’aventure on réussissait à rapprocher les différentes cultures, certains craignent alors de les voir disparaitre, de tuer notre mémoire et de détruire ce qui nous caractérisait. Nous tomberions alors de Charybde en Scylla.

En définitive ces deux courants de pensée se rejoignent dans une grande méfiance envers la construction européenne présentée soit comme impossible soit comme destructrice de nos identités propres.

En vérité ces craintes sont infondées car nos différences culturelles n’ont pas empêché que, au fil des siècles (28 siècles écrivait Denis de Rougemont dans son célèbre ouvrage), nous dégagions des lignes communes qui finissent par constituer un patrimoine commun, «notre patrimoine commun».

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Ces lignes communes, ces ressemblances résultent sans doute d’abord de la mobilité des Européens. C’est ce que le Conseil de l’Europe a bien mis en valeur en faisant apparaître les «itinéraires culturels» le long desquels nos ancêtres se sont transmis des manières de s’exprimer telles que l’architecture, la musique, la peinture…, bref les beaux-arts, mais aussi les idées, les religions (judaïsme, catholicisme, religions réformées…), sans oublier les méthodes de travail agricoles, viticoles, etc.

On a toujours beaucoup circulé sur notre petit bout d’Eurasie. Les populations se sont beaucoup mélangées et les savoirs se sont influencés mutuellement. N’oublions pas les grandes universités qui, à partir du Moyen-Âge, ont été des lieux privilégiés pour ce travail d’enrichissement mutuel entre tous les Européens.

Au fil des siècles, nous avons ainsi élaboré des idées qui constituent notre socle culturel collectif. Un ouvrage comme celui d’Edgar Morin (Penser l’Europe, Gallimard), montre bien ces traits communs. Certes, dans nos différents pays, il y a d’innombrables ouvrages montrant nos caractéristiques propres, mais il y a aussi beaucoup d’ouvrages qui montrent nos ressemblances, voire une identité de pensée.

D’ailleurs –et je mentionne ici un exemple caractéristique– tout cela a abouti aujourd’hui à l’adoption de textes communs, tout à fait officiels, qui portent sur des domaines ultra-sensibles: les valeurs philosophiques et les principes fondamentaux qui forment l’armature de nos sociétés européennes, à savoir l’État de droit, les droits de l’Homme, les libertés publiques, la démocratie pluraliste, etc. Tout ceci est consacré dans des textes dûment signés et ratifiés tels que la Convention européenne des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Certes, tous les pays européens ne manifestent pas le même enthousiasme pour respecter les textes qu’ils ont signés et ratifiés. Certes, chaque pays peut évoluer et le respect de ses engagements peut connaître des hauts et des bas. Mais c’est déjà considérable que le processus de la construction européenne ait conduit, malgré tout, à des proclamations, à des engagements, à des actions et à des jurisprudences qui vont dans le même sens.

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En définitive, la société européenne apparaît sans doute très diverse, «morcelée» diront certains, «chatoyante» diront les autres.

Mais dans ses profondeurs, elle a des valeurs et des lignes dominantes qu’elle a forgées au fil des siècles, souvent dans la douleur (des conflits politiques, des guerres de religion…), parfois dans le bonheur de la découverte ou de l’invention.

Et ce fond culturel commun n’est pas aussi invisible que d’aucuns l’affirment. Qui n’a pas voyagé dans le monde sans reconnaître d’emblée, parmi les étrangers, un Européen ou sans être reconnu par les étrangers comme un Européen bon teint?

De ces liens interculturels noués au fil des siècles découlent des pans entiers de notre patrimoine européen commun. De l’architecture à la peinture en passant par la littérature, nos artistes européens se sont enrichis réciproquement jusqu’à faire émerger des mouvements artistiques qui dépassent nos frontières nationales.

L’architecture gothique, née principalement en France au milieu du XIIème siècle, finit par se déployer en Angleterre, dans le Saint-Empire avec la majestueuse cathédrale de Cologne ou encore dans la péninsule ibérique au Portugal deux siècles plus tard. Les édifices civils ne sont pas en reste: l’hôtel de ville de Bruges en Belgique, le Palazzo Pubblico à Sienne en Italie...

La musique classique est le genre musical qui a unifié l’Europe à la moitié du XVIIIème siècle. L’un de ses représentants incontournables, Mozart, considéré comme la première personnalité européenne, a voyagé plus d’une dizaine d’années en Europe à la rencontre d’autres artistes et compositeurs. Son art s’est nourri de ces échanges où il a pu en apprendre davantage sur d’autres styles musicaux. N’oublions pas que c’est à Beethoven que nous devons la composition de notre hymne européen l'Ode à la joie.

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La Renaissance, tout particulièrement dans l’art pictural, a marqué un renouveau dans les arts européens ayant pour modèle l’Antiquité. Ce mouvement prend sa source en Italie dès le XVème siècle et se diffuse en Europe du Nord avec des peintres hollandais, belges, allemands tels que Jan Van Eyck, Holbein... En France, les guerres successives des rois français menées contre l’Italie amènent François Ier à découvrir Léonard de Vinci et à lui proposer de séjourner en France pour y travailler en 1516. Il ne s’arrête pas là avec la rénovation du château de Fontainebleau où il convie de nombreux artistes dont les peintres italiens Rosso et Primatice.

Omniprésent en Europe, le Romantisme, né au XIXème siècle, est l’un des courants littéraires les plus populaires. En France, il est l’héritier des idées de la révolution française et se veut en rupture avec les codes jugés trop rigides du classicisme. Des auteurs comme Mme de Staël ou encore Chateaubriant élargissent leur horizon littéraire en partant à la rencontre d’autres auteurs européens. Le Romantisme se déploie alors de partout en Europe: en Allemagne avec les frères Schlegel et Fichte, en Angleterre avec Edward Young, Lord Byron ou encore John Keats, en Scandinavie, dans la péninsule ibérique, balkanique…

(Catherine Lalumière est présidente de la Maison de l’Europe de Paris)

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