Le principal transporteur maritime indien de pétrole russe perd ses certifications, au moment où l’UE menace l’Inde de sanctions
ÉNERGIE - La société indienne Gatik Ship Management, l’un des plus importants transporteurs de pétrole russe en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine, est sur le point de perdre la certification pour 21 de ses navires auprès de Lloyd's Register, société britannique de classification qui fournit des documents essentiels pour entrer dans les ports. L’annonce, relayée par Reuters, intervient quelques jours après l’avertissement du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, contre les produits raffinés fabriqués par l’Inde à partir de pétrole russe. Il s’agit, a-t-il affirmé, d’un “contournement” des sanctions internationales.
Basée à Mumbai, la Gatik ship Management, qualifiée de “société mystérieuse” par plusieurs médias, y compris indiens, s’est développée de manière fulgurante depuis l’invasion russe de l’Ukraine, devenant l'un des principaux transporteurs de pétrole de la Russie vers l'Inde en douze mois à peine. La société est passée de la possession de quelques navires à 58 pétroliers, s’invitant ainsi dans un club exclusif de seulement 20 entreprises sur 14 000 à être dotées d’une flotte de plus de 50 navires.
Les navires de la Gatik “non gratæ”
Un développement qui a suscité une attention particulière, notamment chez le Lloyd’s Register. Il s’agit d’une société de classification qui fournit des documents sans lesquels un navire ne peut obtenir une assurance ni entrer dans les ports, britanniques dans ce cas précis.
Dans un courrier adressé à Reuters, cette société explique s’être “engagée à faciliter le respect des sanctions relatives au commerce du pétrole russe. Lorsque des preuves sont apportées, nous retirons nos services à tout navire dont les autorités compétentes ont constaté qu'il enfreignait les sanctions internationales”, lit-on.
21 navires de la Gatik Ship Management perdent ainsi le 3 juin prochain leur certification auprès du Lloyd’s Register. Cette mesure n’est pas la première du genre que subit la compagnie indienne. American Club, l'un des douze premiers assureurs P&I (Protection et indemnisation, ndlr) au monde qui couvrent environ 90 % du tonnage océanique mondial, avait annoncé à la mi-avril qu'l ne les couvrait plus la Gatik Ship Management.
Le même mois, c’est le Registre international des navires de Saint-Kitts-et-Nevis, un État situé dans la région des Caraïbes, qui a annoncé le retrait de son pavillon à 36 navires de Gatik. Dans la foulée, un autre assureur, cette fois-ci russe, Ingosstrakh, a annoncé à la même agence de presse britannique que la certification de la société indienne, qui a expiré en avril, n’a pas été renouvelée.
Ces décisions risquent sans doute de compromettre les importations indiennes de pétrole russe et réduire la commercialisation, très rentables, de ses produits raffinés. Durant les quatre premiers mois de l’année en cours, le sous-continent a importé, sur des navires de la Gatik, 2,76 millions de tonnes de pétrole de Moscou, soit 10% des importations provenant de son allié russe.
L’Inde se défend, l’UE cible les produits à base de pétrole russe
Selon la société Vortexa, qui fournit des données en temps réel et des outils d'analyse avancés sur les secteurs de l'énergie et du fret, l’Inde a même dépassé la Chine comme importateur de pétrole russe. D’ailleurs, les importations de pétrole, qui représentaient seulement 1% des importations totales indiennes, représentent désormais plus 30% des achats du pays.
Les deux alliés de Moscou, New Delhi et Pékin, tout comme d’autres pays à l’image de la Turquie, ont acheté le brut russe à moins des 60 dollars le baril selon Reuters, seuil fixé par les sanctions des pays occidentaux contre la Russie. En plus d’économiser des milliards de dollars, l’Inde génère une plus-value importante en vendant, au prix du marché et en toute légalité, en Europe comme aux États-Unis, des produits comme l’essence et le diesel fabriqués à partir de pétrole russe raffiné.
Un modus operandi qui a suscité une réaction du haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, Josep Borrell. “Il est normal que l'Inde achète du pétrole russe. Et si l'Inde peut le faire à un prix moindre grâce à notre prix plafond, c’est tant mieux car cela réduit les rentrées d'argent pour la Russie”, a-t-il estimé au Financial Times. “Mais si l’Inde profite de cette situation pour devenir un centre de raffinage du pétrole russe et que des produits dérivés nous sont vendus, nous devons agir”, a ajouté Borrell.
De son avis, “l’importation en Europe de produits fabriqués en Inde à partir de pétrole russe consiste assurément en un contournement des sanctions, et les États membres doivent prendre des mesures”, a-t-il affirmé. Une déclaration à laquelle le ministre indien des Affaires étrangères a vite rétorqué. Lors du conseil UE-Inde sur le commerce et les technologies, il a déclaré “ne pas voir de fondement" à de telles allégations de la part de Josep Borrell puisque, selon “la réglementation du Conseil de l'Union européenne”, si le brut russe est "transformé substantiellement", il n’est plus considéré comme russe.
En début d’année, Subrahmanyam Jaishankar, qui a défendu les importations indiennes de pétrole russe en reprochant à l’UE de gérer cette crise énergétique “de la manière qui l’arrange”, avait sommé ses pays membres “à couper définitivement tout lien direct ou indirect avec Moscou, si c’est une question de principe”.
En attendant de convaincre ses États membres de “combler les sanctions” et instaurer un embargo complet sur le pétrole russe, l’Union européenne peut visiblement compter sur les sociétés de classifications des pays occidentaux pour endiguer la circulation des navires de la Gatik Ship Management.
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