Syrie : le 1er régiment, le groupe rebelle syrien patronné par la Turquie
Dans une interview récente, je déclarais qu'il était difficile de réduire la rébellion syrienne à de grandes catégories, chaque formation ayant ses caractéristiques propres. Le cas d'une de ces formations, le 1er régiment, l'illustre bien : il prouve aussi qu'une faction rebelle peut évoluer dans le temps et ne peut pas être placée sur le long terme dans une des catégories souvent employées par les médias.
Le 1er régiment (Al-Fauj al-Awwal) est une formation de rebelles syriens créée en mars 2015 et dirigée par Hassem Kenjo. A l'origine, les membres de ce groupe viennent de Liwa al-Tawhid, une ancienne faction parmi les plus puissantes de l'insurrection syrienne et opérant dans la province d'Alep (qui a fait partie du Front Islamique). Liwa al-Tawhid veut à l'origine remplacer le régime Assad par un Etat gouverné par les principes de la charia mais dirigé par une autorité civile, avec des élections et un certain respect des minorités. Déliquescente, elle se délite, faute de soutien extérieur, depuis 2014, en une multitude de groupes dont le 1er régiment. Celui-ci a fait partie du Front du Levant jusqu'en mai 2015, Le Front du Levant avait été créé en décembre 2014 par les factions rebelles les plus puissantes d'Alep, dont le Front Islamique à Alep, né en juillet précédent, qui regroupait les forces du Front Islamique présentes à Alep, dont Liwa al-Tawhid. Le 1er régiment a ensuite intégré Fatah Halab, coalition de groupes rebelles coordonnant les opérations dans la province d'Alep créée en avril 2015, et qui rassemble des formations assez variées. Le 1er régiment a également participé à Ansar-al-Charia, une coalition formée par le front al-Nosra en juillet 2015 pour faire contrepoids, à Alep, à Fatah Halab. Le 1er régiment opère essentiellement à Alep et au nord de la province du même nom, mais on l'a vu aussi intervenir dans la province de Hama. Il a reçu des missiles antichars TOW américains, avec un seul lanceur semble-t-il, à la fin de l'année 2015, ce qui signifie qu'il a été "approuvé" par les Etats-Unis.
Le 1er régiment participe aux combats de février 2016, quand le régime syrien attaque pour ouvrir un corridor au nord-ouest d'Alep vers les enclaves chiites de Zahra et Nubl assiégées par les rebelles, et encercle des rebelles dans la poche d'Azaz au nord d'Alep (où se trouve certains des combattants du 1er régiment). Un article détaillé sur les unités rebelles du même mois crédite l'unité d'environ 500 combattants. Une analyse plus longue sur les forces rebelles de la province d'Alep donne quant à lui 1.500 hommes, et souligne les liens de la formation avec la Turquie, qui chercherait ainsi à avoir des relais dans le nord de la Syrie. Le 1er régiment dispose d'un expert dans le creusement des tunnels, Abou Assad. Au mois de mai 2016, le groupe est parmi les signataires d'un texte demandant au groupe rebelle Jaysh al-Islam d'arrêter les combats fratricides contre les autres rebelles de Faylaq al-Rahman dans la poche rebelle encerclée par le régime de l'est de la Ghouta à Damas. Le 2 août, lors de l'offensive rebelle pour lever le blocus des quartiers Est d'Alep, le 1er régiment fait sauter un tunnel sous les positions du régime dans le quartier de Ramouseh. Il semble jouer un rôle conséquent au sein de Fatah Halab pour cette opération. Le 22 août, il détruit au missile antichar un BMP-1 du régime dans le collège technique de l'académie d'artillerie d'Alep. En septembre 2016, il est à l'offensive pour prendre le quartier d'Ameriyah à Alep. En octobre 2016, le 1er régiment participe à l'offensive rebelle au nord de la province de Hama, tirant des roquettes 9M22U Grad à Tel-al-Syriatel. A partir du 28 octobre, il participe également à l'attaque des rebelles contre les quartiers ouest d'Alep tenus par le régime. Le 1er décembre 2016, le 1er régiment intègre Jaysh Halab, la coalition créée en urgence par les rebelles dans la partie sud-est d'Alep que ceux-ci contrôlent encore après l'offensive du régime. De fait, il combat à ce moment-là sur 3 fronts: au nord d'Alep, dans la ville elle-même (quartiers Est) et à l'est d'Alep avec l'armée turque entrée en Syrie le 24 août, dans le cadre de l'opération Euphrates Shield. Le 1er régiment participe au siège d'al-Bab à l'Est d'Alep aux côtés de l'armée turque. Le 7 décembre, un tir de missile TOW du 1er régiment vise un canon ZU-23 du régime dans le quartier de Zahra, à l'ouest d'Alep. Jusqu'au 9 décembre, le 1er régiment combat dans la ville d'Alep, tirant notamment avec un canon sans recul SPG-9. Depuis, il ne montre plus que des opérations à al-Bab, à l'est d'Alep, où le gros de ses effectifs était déjà engagé. Il aurait récemment capturé, peut-être, 2 lance-missiles antichars Fagot lors de combats contre l'EI.
L'emblème du 1er régiment est relativement simple : le nom de l'unité, 1er régiment, est surmonté d'un drapeau blanc avec écriture noire où figure la profession de foi de l'islam (shahada). En-dessous, en rouge, figure l'inscription "La victoire ou le martyre". Le groupe dispose d'un compte Twitter très actif, d' une chaîne YouTube et d'un site Internet. Sur ses vidéos, le 1er régiment utilise à la fois son logo, couplé à celui de l'Armée Syrienne Libre, et le logo de Fatah Halab. Cela vaut pour la ville d'Alep, mais pas sur le front d'al-Bab où le logo de Fatah Halab disparaît souvent. Le 10 novembre, le site du 1er régiment publie un article sur les combattants étrangers servant aux côtés du régime syrien. Il confirme que la base de la montagne Azzan, à 15 km au sud d'Alep, est l'une des plus importantes de la région : on y trouve les chiites irakiens de Nujaba, le Hezbollah, des Iraniens. Nujaba serait également présent en force à l'académie militaire, à l'ouest d'Alep, qui serait son QG ; le Hezbollah serait à Hamdania, et à Zahra et Nubl. A Aziza, au sud d'Alep, on trouve le QG de Liwa al-Baqir (milice de chiites syriens), ainsi que des Irakiens chiites, dont Nujaba. Liwa Fatemiyoun stationnerait dans le quartier industriel de Sheikh Najjar à l'est d'Alep (on sait maintenant que Liwa Fatemiyoun a probablement son QG à Khanat Assan, à 14 km au sud du centre-ville d'Alep). L'aéroport d'Alep serait contrôlé par les Pasdarans et le Hezbollah. Le 18 novembre, un poster est dédié à un commandant du 1er régiment tué à Sheikh Saïd, un quartier d'Alep-Est : Khaled Najjar. Le 27 novembre, un poster rend hommage à Hassem Kenjo, le chef du 1er régiment, tué la veille dans les combats de Sheikh Saïd à Alep-Est.
Une analyse en source ouverte de l'armement, des matériels et des tactiques employés par le 1er régiment depuis un mois environ permet d'aboutir à plusieurs conclusions. D'abord, que le soutien turc est évident: le 1er régiment dispose d'armes neuves venant de Turquie, des M-16A2 avec viseur ACOG, des mitrailleuses M240 ou M249 montées sur ses véhicules, un mortier serbe M69A de 82 mm et d'autres pièces d'artillerie, de même que cette mitrailleuse Zastava M84 flambant neuve. Le 1er régiment a reçu également, semble-t-il, un unique véhicule blindé ACV-15 AACP que l'on voit depuis quelques temps maintenant dans les rangs des groupes rebelles soutenus par la Turquie dans la province d'Alep. Le groupe dispose également de nombreux technicals.
L'infanterie se monte à chaque fois à quelques dizaines d'hommes au maximum. Mais le 1er régiment ne dispose pas de moyens très lourds: un probable lanceur BM-21 Grad est visible début novembre mais pas depuis. Rien d'équivalent en tout cas à la puissance de feu déployée par le régime syrien et même par l'EI en certaines occasions. Rien d'étonnant à ce que l'unité privilégie le pilonnage à distance avec ses moyens d'appui, limités, avant d'engager l'infanterie, souvent derrière les véhicules qui ouvrent la voie. La discipline de feu n'est pas très respectée chez les fantassins, mais il y a aussi sans doute l'intention de faire le coup de feu pour la caméra.
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