Les Enjeux De Demain : Les données agricoles, notre sécurité alimentaire en danger ?
Il est bien fini le temps du paysan les bottes dans la gadoue, le doigt au ciel pour évaluer le temps à venir. Dorénavant, ce sont des capteurs qui estiment l’eau, les engrais et les pesticides nécessaires. Les tracteurs permettent avec leur GPS d’analyser la taille de l’exploitation, le temps de semences ou la quantité de récoltes. Toutes ces données sont tellement intéressantes que Google mise gros sur ce dossier, pourtant bien loin du moteur de recherche.
Officiellement, il s’agit d’optimiser la productivité et de recueillir des données sur l’état des plantes et des sols. Dans les faits, avec son robot « Mineral », Google et son laboratoire semi secret, Alphabet, souhaite surtout récolter un maximum de données, de big data. Comme on le dit souvent, « si vous ne savez pas quel produit on vous vend, c’est que vous êtes le produit. » De son côté, Microsoft a mis en place une application en Afrique pour prendre connaissance des sols, du prix, de la météo, etc..
Au rayon moyens, Alphabet est dans le club des sociétés valorisées à mille milliards de dollars. On peut se demander dés lors, pourquoi, les GAFAM s’intéressent t’ils autant à l’agriculture ?
La sécurité alimentaire en ligne de mire
Pouvoir recenser et estimer avec l’intelligence artificielle, la quantité de chaque produit agricole donne un avantage certain aux géants du numérique. Seulement, les pays sont dépendants pour leur sécurité numérique du géant américain, dans un domaine aussi important que l’alimentation. De plus, les prix des produits agricoles se décident sur des marchés à terme, c’est à dire que le prix est fixé aujourd’hui pour une production à venir. Dans ce cas, une société qui aurait les informations, même partielles sur l’état des récoltes, pourrait avoir une position dominante pour décider du prix et des revenus des agriculteurs. Il a le loisir de l’augmenter en spéculant si la récolte à venir est mauvaise.
Fabrizio Delage Paganini est cofondateur de la start-up Valeur-Tech, qui bâtit des services intelligents pour transformer les données en source de valeur pour les agriculteurs en France, Ukraine ou au Maroc. Pour lui, cela dépasse juste le prix des matières premières. Entrent en jeu des assurances et des produits de couverture financière, etc.. « Il y a bien sûr des spéculations sur le marché des matières premières. Celui qui a l’information avant les autres, peut savoir à quel moment acheter ou vendre. Avec la data, tu peux « prendre » le marché. Le trading de matières premières est concerné et cela va aller en augmentant dans le futur. Si les Américaines ont déjà des outils, il n’en existe pas encore au niveau européen. «
Tracer de l’agriculteur au consommateur
Les données ont une part non négligeable des possibilités pour aider les décisionnaires à mieux cultiver et à respecter l’environnement. Que ce soit dans la consommation d’eau, l’utilisation des pesticides ou des engrais, ces éléments doivent favoriser l’agro écologie et défendre une agriculture plus cohérente avec son écosystème. « Sans données, on aura un mal fou à tracer la volaille ou les légumes. C’est une demande du consommateur. Il va falloir mieux gérer l’interopérabilité des données. Il va falloir aussi s’occuper de la sécurité et de la préservation des données agricoles. »
La traçabilité n’est pas un vain mot. Il s’agit là de trouver la solution pour la sécurité alimentaire où le consommateur saura ce qui a été utilisé pour ses aliments : « Le plan de relance agricole se concentre sur la transition écologique bas carbone. Si vous voulez éviter les scandales alimentaires (salmonelle, viande de cheval, etc..), il faut un contrôle plus fin. Si on ne veut pas être la victime de la récupération de ses données, il faut en être l’acteur, voire même « consomm-acteur ». Elles permettent à l’agriculteur de mieux se connaître soi-même et son exploitation. Les compteurs intelligents permettent de baisser la pression hydrique. L’agriculteur pourra être rémunéré à la performance sur sa consommation d’eau par exemple. Elles vont desservir l’agriculteur si on ne les maîtrise pas et qu’on ne sait pas comment les utiliser. »
La France bien placée mais pas assez solide seule
Actuellement, le ministère de l’agriculture Français recense l’ensemble des exploitations agricoles. Cette opération a commencé le 1er octobre et s’étendra jusqu’en avril 2021. Obligation est faite aux exploitants de répondre. Le ministère indique qu’il s’agit là de données collectées « confidentielles et utilisées uniquement à des fins statistiques ». Des études qui permettent de mieux cerner le niveau Français. « La France présente un bel avancement en termes de gestion des données agricoles, explique le cofondateur de Valeur-Tech. L’économie est structurée en filières. C’est un bon élève sur ces enjeux mais il faut un éveil des consciences qui ne soient pas que politique mais aussi au niveau individuel. L’investissement du privé dans la gestion de ces datas est essentielle. On doit valoriser la marque France mais il faut que ce soit aussi au niveau technologique. Seulement, toute la difficulté pour les Français est de considérer le marché au delà du national. Nous sommes dans des enjeux internationaux face à des GAFAM. Il faut trouver les partenariats, notamment au niveau européen. »
Maitriser ses données, c’est aussi agir dans le cadre d’une planification agricole et de donner les moyens à l’Etat de gérer les terres agricoles et l’environnement. « Je suis convaincu que ca passera par l’Europe. Le prix des denrées agricoles sera dépendant d’une centralisation européenne. Il faut rendre anonyme les données et avoir une plateforme européenne. Il faut des « clusters », des espaces de réflexion et de travail pour valoriser les enjeux des datas. »
L’Europe et la PAC comme solution
Du coté étatique, les ministres de l’agriculture des 27 Etats-membres de l’UE travaillent aux textes réformant la PAC (Politique Agricole Commune) à partir du 1er Janvier 2023. SI on parle bien des « écorégimes », qui devraient représenter 20% des aides européennes, les données agricoles ne sont pas en reste, comme nous l’indique Fabrizio Delage Paganini : « Les RGPD ont permis de donner de la valeur aux données des agriculteurs, afin qu’ils puissent les valoriser et les échanger dans un cadre sécurisé. L’Europe a mis en place des « data space » européens, comme le projet Gaïa-X qui vise à concurrencer les GAFAM. Un cadre pour la souveraineté européenne numérique est en cours. La réforme de la PAC est l’occasion rêvée pour améliorer la prise de conscience européenne. N’oublions pas qu’il est possible d’hacker ses données. La cyber sécurité est importante aussi. Il faut un coffre-fort numérique des données »
La faiblesse européenne à ce niveau est dramatique pour Fabrizio Delage Paganini. Les sociétés qui travaillent sur ces outils technologiques sont hélas sous financées au niveau européen. « Proposez moi un équivalent à Google qui soit Français ou Européen, je l’utiliserais demain. Aujourd’hui, on n’est pas au niveau en termes d’expériences clients. Les Européens doivent apprendre à travailler un écosystème s’ils veulent rivaliser avec les GAFAM.»
Outre une labellisation européenne, la nécessité d’un organe au sein de l’Union Européenne, travaillant sur les questions des datas agricoles apparaît de plus en plus nécessaire.
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