Fukushima, dix ans déjà ! J'y étais : récit

Auteur(s)
Alain-Sam Fédérowski journaliste pour FranceSoir
Publié le 11 mars 2021 - 13:02
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Fukushima
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Issei Kato/AFP
Visite de journalistes à Fukushima, un an après la catastrophe.
Issei Kato/AFP

Vendredi 11 mars 2011, 7 heures du matin : le rédacteur en chef du service reportages de TF1 m'appelle pour me demander, sur un ton narquois, si j'ai toujours... mes bottes en caoutchouc.

Je comprends immédiatement ce qu'il veut puisque quelques minutes auparavant, je viens d'entendre, sur une radio d'information en continu, qu'un violent séisme vient de secouer la côte Pacifique du Japon et qu'un tsunami est redouté.

Un quart d'heure avant l'appel de mon chef, à presque 10 000 kilomètres de là, le directeur de la centrale nucléaire de Fukushima- Daiichi est affreusement surpris par la puissance de ce tremblement de terre : le mobilier autour de lui et les faux plafonds tombent au sol, impossible pour lui de marcher. 

Il vit la secousse la plus violente jamais enregistrée dans l'archipel nippon, d'une magnitude de 9,1 sur l'échelle de Richter (graduée de 1 à 12).

Le dirigeant ne se doute pas que 51 minutes plus tard, une vague de 12 à 15 mètres va se fracasser sur les murs d'enceinte de la centrale. Ces derniers, dimensionnés à 10 mètres, par l'opérateur d'électricité TEPCO, seront submergés et engendreront la catastrophe nucléaire la plus importante de l'Histoire, sans doute à égalité avec celle de la centrale de Tchernobyl, en Ukraine, en 1986.

Vers 12h30, nous embarquons pour Tokyo. 13 heures plus tard, le vol est détourné vers Osaka, car les pistes de l'aéroport de Tokyo ont souffert du séisme.

Impossible de louer un véhicule, nos permis de conduire internationaux n’étant pas traduits en japonais. Nos téléphones portables, bien que dotés d'un abonnement international, ne fonctionnent pas dans ce pays.

C'est alors que la chance nous sourit : un jeune Japonais, qui venait de séjourner deux ans en France, nous rejoint après avoir été contacté par l'Alliance française...

Nous traversons, de nuit, l'île de Honshu, du sud vers le nord. L'autoroute principale est fermée et réservée aux véhicules de secours, tant civils que militaires.

Après avoir parcouru 900 km, nous atteignons, au petit matin, Seindaï (non loin de l'épicentre du tremblement de terre), où nous effectuons notre premier reportage qui montre des habitants très disciplinés faisant la queue pour obtenir de l'eau en bouteille; la plupart des maisons et les bâtiments sont écroulés ou gravement fissurés.

Une impressionnante scène de guerre et de désolation s'offre à ma caméra...

Le lendemain, nous accédons au port de Soma. Devant nos yeux, un décor apocalyptique : des amas de matériaux en tous genres, maisons détruites, voitures, camions, arbres, rochers, bateaux... La vague géante avait pénétré jusqu'à 10 kilomètres à l'intérieur des terres. Selon certains observateurs, sa hauteur maximum aurait pu dépasser les 30 mètres (soit 11 étages d'un immeuble construit d'après les standards européens) et une moyenne de 15 mètres (7 étages) sur près de 600 k de côtes !

Le port de pêche de Soma est pratiquement rayé de la carte. Je revois les rescapés hagards qui errent dans la boue et la ferraille.

Imaginons des villes côtières françaises rebâties après la Seconde Guerre mondiale, comme Dunkerque, Calais ou Boulogne-sur-Mer, envahies par l'océan.

Le 14 mars, en fin de matinée, nous nous trouvons à quelques dizaines de km de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, dans un hôtel sommé de fermer. Le journaliste-rédacteur et l'interprète tentent d'obtenir des rendez-vous avec des responsables de la production électrique, tandis que l'ingénieur du son et moi interviewons la réceptionniste. 

En tournant la tête, j'aperçois un panache de fumée blanche qui s'élève dans le ciel... bleu : le cœur du réacteur numéro 3 vient d'entrer en fusion, provoquant une explosion soufflant  le toit de l'édifice. Simultanément, la télévision japonaise NHK annonce un nouveau séisme dans le Pacifique et une alerte majeure d'un probable tsunami. Nous quittons précipitamment les lieux pour rejoindre un point haut. Nous nous retrouvons sur un pont au-dessus d'un bras de mer avec des citoyens disciplinés, au sang-froid déroutant. Quelques minutes après, un grondement de plus en plus proche et menaçant laisse présager un déferlement dévastateur, mais, entravé par les montagnes de détritus, il termine fort heureusement sa course non loin de nous. Tout cela devant mon objectif...

Une rédactrice en chef nous envoie un message quelque peu surréaliste : "Quittez immédiatement cette zone car il y a une catastrophe nucléaire mais avant de partir, faites-nous un sujet pour le journal de 20 heures". Ce soir-là, nous logeons dans un des rares hôtels encore ouverts à Fukushima Préfecture, capitale de la province du même nom, établie à 125kms au nord de la centrale. Des journalistes du monde entier quittent l'hôtel et la région. Des confrères de la télévision russe équipés de combinaisons et d'appareils de mesure de type compteur Geiger testent notre véhicule et nous indiquent que la radioactivité des roues est dix fois supérieure aux normes acceptables pour l'Homme. Nous regagnons Sendaï : plus d'hébergement, plus de restaurant, distributeurs de billets hors d'usage, carburant réservé aux secours...

J'avais acheté des chips au poisson et du coca en quantité, quelques jours auparavant. L'équipe m'avait alors demandé pourquoi une telle quantité...? Les évènements m'avaient hélas donné raison... 

Une nuit de cauchemar nous attend sur la route entre Sendaï et Yamagata, car en-dehors des répliques sismiques qui faisaient ressembler notre break à une nacelle de fête foraine, la neige s'invitait au bal. 12 heures de galère pour franchir un col sans pneus neige. Après une longue journée de patience à l'aéroport de Yamagata, nous embarquons pour Osaka, puis quelques jours plus tard, atterrissage à Roissy-Charles de Gaulle où la totalité de nos effets personnels et notre matériel de tournage sont pris en charge par une société spécialisée dans la décontamination.

La semaine suivante, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nous soumet  à un examen médical afin de déterminer le taux de radiation auquel nous avons été exposés.
 

J'ai eu l'opportunité de revenir dans la province de Fukushima, six mois après la catastrophe avec une autre équipe et là, dans le port de Soma, le reportage que nous devions effectuer m'a particulièrement bouleversé : la plupart des sinistrés étaient relogés dans des cités préfabriquées, parfaitement alignées, d'une propreté exemplaire. La discipline, l'organisation et la capacité de résilience des Japonais sont exceptionnelles pour se relever d'un tel malheur le tremblement de terre et le tsunami ont fait 18 000 morts et disparus, et près de 140 000 réfugiés.

 

Alain-Sam Fédérowski est journaliste - grand Reporter/caméraman

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